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des abris, à fabriquer des affûts de canons. Les Turcs n’avaient rien à craindre des Chiotes, fui venaient de donner assez de preuves de fidélité ; mais, même après l’insuccès de leur première entreprise, une seconde tentative contre l’île était à redouter de la part des Grecs.

En effet, le 22 mars 1822, une troupe de Samiens, d’environ deux mille hommes, débarqua dans l’île. Elle avait pour chef un aventurier de Samos, nommé Lycurgue, et un paysan chiote qui avait fait la campagne d’Égypte sous Bonaparte. Ces soldats n’étaient point des plus braves ni des plus disciplinés de l’armée grecque. Lycurgue, ambitieux d’un commandement, les avait racolés parmi les vagabonds, les repris de justice, les déserteurs et les mécontens de l’armée, et il s’était décerné à lui-même le titre de généralissime (archistratège) du corps de Chio. A l’approche des Samiens, les Turcs se réfugièrent dans la citadelle. Lycurgue prit possession de la ville. Ses hommes commencèrent par piller les mosquées et les boutiques turques et finirent par piller les maisons des Grecs qu’ils étaient venus pour délivrer de l’esclavage. Les singulières façons de leurs libérateurs n’étaient point faites pour engager les Chiotes à combattre dans leurs rangs. La population ne bougea pas. Seuls quelques paysans de la région du mastic s’armèrent de bâtons durcis au feu et vinrent grossir le corps de Lycurgue. Plusieurs attaques contre la citadelle n’eurent aucun résultat, car les assiégeans manquaient de canons. Ils en firent demander à Psara et à Corinthe. Les Grecs, bien qu’ayant désapprouvé l’expédition, se décidèrent à leur en envoyer, mais les bâtimens qui les portaient durent s’arrêter à Psara. Chio était retombée au pouvoir des Turcs.

On avait reçu à Constantinople la nouvelle de la révolte de Chio. C’est ainsi que le gouverneur appelait l’échauffourée des Samiens, à laquelle les Chiotes n’avaient pris aucune part. Le sultan entra dans une grande colère. On dit qu’il ne prononça que ces trois mots : « Fer, feu, esclavage. » Le capitan-pacha lui-même fut chargé de l’exécution de cette sentence. Sa flotte, forte de plus de cinquante bâtimens, mouilla devant Chio, le 11 avril, et ouvrit le feu. Les Samiens quittèrent la ville et se rembarquèrent. Toutefois, Lycurgue, qui craignait pour les Chiotes les terribles vengeances des Turcs, resta avec quelques centaines d’hommes à Lithocoron, dans le nord de l’île, afin de recueillir et d’embarquer les fugitifs. Mais une dizaine de ses soldats ayant, dans une reconnaissance, été pris par des paysans chiotes et livrés aux Turcs qui les égorgèrent, il quitta l’île.

A peine les Turcs eurent-ils débarqué que le massacre commença. Le gouverneur donna le signal en faisant pendre cent vingt otages aux créneaux de la citadelle. Alors cinquante incendies