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d’expérience qu’il avait des voies intérieures. » C’est ici l’accent qui ne trompe pas. Visiblement, elle a pitié de l’ignorance de Bossuet, pour ne pas dire du pharisaïsme de ce prélat de cour. De là ce terrible redoublement de confiance en elle-même, en ses visions, en ses expériences, en sa mission. L’opposition même de ces hommes constitués en dignité lui devient un signe qu’elle est élue d’en haut pour renouveler les cœurs. Mais de là aussi l’étonnement, l’indignation, je puis dire l’effroi de Bossuet. Cet orgueil du sens individuel, c’est la ruine de la tradition. Il a raison de dire qu’il y va de toute l’église.

Plus haut encore. Il y va de toute la religion. Les écrivains protestans ont loué cette incomparable habileté de la politique romaine à triompher de l’esprit de révolte, en se l’incorporant, pour l’utilisera ses fins. « Placez, dit Macaulay, placez Ignace de Loyola à Oxford, il deviendra certainement le chef d’un schisme formidable. Placez John Wesley à Rome, il sera certainement le premier général d’une nouvelle société dévouée aux intérêts et à l’honneur de l’église. Placez sainte Thérèse à Londres, son enthousiasme inquiet se transforme en folie mêlée de ruse. Placez Joanna Southcote à Rome, elle fonde un ordre de carmélites aux pieds nus, toutes prêtes à souffrir le martyre pour l’église. » Rien de plus habile, en effet, si la religion n’est qu’une politique. Mais si la religion, par hasard, avant d’être une politique, était une discipline des mœurs ? Telle est bien la croyance de Bossuet. La noblesse, l’honnêteté, la droiture de son génie n’admet pas que l’on emploie des vases souillés aux usages pieux, et qu’en morale comme en médecine, on compose des remèdes avec des poisons. Il n’admet pas que l’on fasse d’un songe indécent et scandaleux le fondement d’une oraison. Il n’admet pas que de l’alliage du pur avec l’impur il puisse sortir une pureté nouvelle, ou que du mélange du profane avec le sacré le parfum de la piété monte et s’élève plus agréable à Dieu. S’il a tort, s’il a raison, je n’ai point à l’examiner. Il me suffit que, dans cette controverse comme dans toutes celles qu’il a soutenues, ce soit son éternel honneur d’avoir défendu de tout son cœur et de tout son génie ces principes dont ne se prennent à douter que ceux qui, comme dit le philosophe, ont été rapetisses par la vie. Or, c’est le propre du mysticisme, dans tous les temps et dans tous les pays, que tôt ou tard il mène ses adeptes aux plus honteux excès. Pourquoi cela ? Je n’en vois pas assez clairement les raisons pour hasarder aucune explication, mais le fait est certain, et je n’avance rien que ne confirme le témoignage de toutes les histoires. Il a sa grandeur, il a surtout son charme, Bossuet ne le nie pas, mais il a ses dangers, et ses bassesses, et Bossuet le voit.

Et plus haut encore, s’il se peut. Savez-vous ce qu’il a vu, si je puis dire, aux brusques clartés du combat ? Il a vu d’une part que le XVIIe siècle, en France, avait fait le plus noble et le plus glorieux effort que l’on eût tenté pour concilier la religion des anciens âges avec les exigences de