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pas plus à fond discuté le passage connu des Lettres de la Palatine. « Je vous assure que cette querelle d’évêques n’a trait à rien moins qu’à la foi ; tout cela est ambition pure ; l’on ne pense presque plus à la religion, il n’en reste que le nom. « Quoi qu’il en soit, il faut noter que c’est en 1693 que la querelle commence, au moment où Mme Guyon remet ses livres entre les mains de Bossuet, et que cette interprétation ne commence d’apparaître qu’en 1698. Je l’admets cependant, mais dans une étroite mesure, dans la mesure où elle est également honorable pour Bossuet et pour Fénelon. Pour Fénelon, je ne doute pas un seul instant que, dans le secret de son cœur, il ait, en effet, nourri d’ardentes ambitions politiques, et rêvé, sous le règne futur du duc de Bourgogne ou même du grand dauphin, le rôle d’un Richelieu. Je ne lui en fais pas un reproche. Mais de savoir ce qu’aurait été le gouvernement de l’auteur de Télémaque, c’est autre chose. Que si, d’autre part, à mesure que la querelle s’animait et que chacun des deux adversaires découvrait le fond de sa pensée, Bossuet a redouté pour l’avenir l’application des principes de Fénelon au gouvernement du prince et de la France, il n’y a rien là qui ne soit à son honneur, ou du moins qui ne fût absolument de son droit. On peut être un fort honnête homme, je pense, et ne pas rêver de la politique de Salente.

Il est au moins une question de l’ordre politique, impliquée dans le débat, sur laquelle nous savons que Bossuet et Fénelon étaient profondément divisés d’opinion : c’est la question du gallicanisme. Le livre de M. Gérin, que nous avons visé plus haut, — Recherches sur l’assemblée de 1682, — a prouvé que Bossuet, nourri dès sa jeunesse aux principes gallicans, dès sa jeunesse aussi les avait hautement professés. On discute encore aujourd’hui s’il les aurait abjurés dans son extrême vieillesse. L’affirmative a été soutenue dans un livre un peu pénible à lire, il est vrai, mais singulièrement instructif, — Étude sur la condamnation du livre des Maximes des saints, par M. Griveau, — qu’il est tout à fait regrettable que M. Guerrier n’ait pas consulté. Tous les textes, en effet, tous les « écrits originaux » y ont été analysés, peut-être avec un excès d’abondance, mais d’ailleurs avec une précision rare, et, sans « documens inédits, » l’ouvrage est devenu de ceux qui font époque dans ce qu’on appelle aujourd’hui la littérature d’un grand sujet. Selon M. Griveau, « c’est la lutte gallicane qui nous explique l’aigreur et les accusations malveillantes des deux parties ; c’est la dévolution du procès à la cour romaine et l’attachement aux maximes professées dans la déclaration du clergé sur la puissance ecclésiastique en 1682, qui ont communiqué à Bossuet et surtout à ses agens une persévérante énergie, jusqu’à paraître dégénérer en animosité personnelle ; qu’on s’en rendît plus ou moins compte, c’est la crainte du retour et du règne des principes romains qui a fait mouvoir tant de ressorts pour éloigner à jamais du pouvoir le précepteur de l’héritier du trône. » Ce n’est pas présentement le temps