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habitans de Chio dans le royaume de Pont, où ils furent vendus comme esclaves. Leur rapatriement fut une des conditions du traité de paix qui intervint entre les Romains et Mithridate. Les Chiotes reçurent le titre d’amis du peuple romain, et l’autonomie leur fut reconnue. On sait de reste ce qu’était l’autonomie des cités dans les provinces romaines. Sous la domination des empereurs, ces droits illusoires finirent par tomber en désuétude sans que les Chiotes cherchassent à les revendiquer.

Du gouvernement des césars de Rome, Chio, au partage de l’empire, passa sous la domination des césars de Byzance. Au temps des empereurs grecs, l’île eut à subir les insultes des Arabes, les attaques des Turcs, les descentes des pirates sarrasins. A la suite de la quatrième croisade, elle tomba au pouvoir des Vénitiens, fit retour à l’empire grec pour un siècle, puis, après avoir été prise deux fois par les Génois, elle leur resta définitivement acquise. La république de Gênes avait pour créanciers plusieurs membres de la puissante famille des Justiniani. Le trésor étant vide, la république donna comme gage l’île de Chio avec tous ses revenus. Gênes ne trouva jamais l’argent pour se libérer, et Chio resta aux Justiniani. En droit, l’île était une des possessions de Gênes ; en fait, elle était un état indépendant gouverné par les Justiniani. La domination de ces Génois, qui dura un peu plus de deux siècles (de 1346 à 1566), fut détestée par les Chiotes, non point peut-être qu’elle fût violente et tyrannique, mais parce qu’elle fut dédaigneuse et vexatoire. Les Justiniani, avec leurs idées de Latins, comptèrent la population grecque pour rien. Ils traitèrent l’île en pays conquis. Il n’y eut pas si infime emploi qui ne fût tenu par un Italien, si petit détail de gouvernement municipal dont les Grecs eussent le droit de s’occuper. Sous les rois de Perse, sous l’hégémonie d’Athènes, sous l’empire romain, sous l’empire byzantin, les Chiotes, bien que soumis au point de vue politique, étaient restés libres, ou du moins avaient gardé l’apparence de la liberté au point de vue municipal. Les Justiniani ne leur laissèrent pas même l’ombre de cette liberté. De plus, avec l’intolérance des catholiques de ces époques, ils s’efforcèrent en toute occasion d’humilier l’église grecque. Aussi, quand en 1566 les troupes ottomanes chassèrent les Génois de l’île, les Chiotes saluèrent les Turcs comme des libérateurs.

Ce genre d’accueil, que les Ottomans n’étaient pas accoutumés à recevoir des Grecs, concilia tout de suite aux Chiotes les faveurs de la Porte. La domination turque, si lourde aux autres pays grecs, fut légère à l’île de Chio. Par leur franche soumission et leur habileté, par les services que des Chiotes rendirent dans le sérail comme interprètes et comme médecins, grâce aussi à ce merveilleux mastic de