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— J’espère, dit la veuve en baissant les yeux et d’une voix tremblante, que nous ne serons jamais obligées de nous séparer... Je n’ai qu’elle au monde, mylady.

— Soit ! mais à Ripple il n’y a pas beaucoup de ressources d’éducation. Si vous deviez vous contenter pour elle du service domestique...

Lady Athelstone s’arrêta une seconde, ce qui permit à Mme Dawson de répliquer :

— Son père ne l’aurait pas permis, et tant que nous pourrons conserver notre indépendance...

— Oui, je me rappelle... Dawson avait des idées à lui... Cependant vous ne comptez pas la garder toujours sans autre occupation que le soin de votre petit ménage. Si, par la suite, vous désiriez lui faire suivre les cours secondaires, avertissez-moi.

— Son oncle Joshua, le frère aîné de mon mari, voudrait nous attirer toutes deux à Warmington, où il est marchand de fer, mylady, mais je ne peux supporter l’idée de quitter la campagne pour une ville noire et enfumée...

— C’est très bien de tenir à son foyer, madame Dawson ; pourtant il faut songer à l’avenir de votre fille. Puisque son oncle est disposé à la protéger, vous auriez peut-être tort de refuser. Nous serons fâchés certainement de votre départ ; nous aimons voir nos vieux tenanciers s’attacher au sol de génération en génération, et nous nous intéresserions toujours à Nellie ; mais réfléchissez... Soyez prudente.

Là-dessus, lady Athelstone se leva satisfaite d’avoir plaidé les deux côtés de la question sans trop s’avancer.

— Avez-vous jamais vu des yeux pareils ? s’écria Wilfred, quand il fut de nouveau à côté d’elle dans la voiture ; et quelle grâce naturelle ! Sa voix est délicieuse ! Sans doute, elle a des locutions, un accent campagnards, mais le ton, ma mère !.. il est plus mélodieux que de la musique.

— Ce que c’est que d’avoir de l’imagination ! Ne parlez pas ainsi devant le monde, mon entant. Je voudrais pouvoir faire quelque chose pour cette petite, reprit lady Athelstone avec un soupir . peut-être vaut-il mieux cependant la laisser où elle est, comme dit votre papa. Il préférerait, je crois, qu’il en fût ainsi.

— Il préférerait ?.. Mais il n’est pas le maître de régler la destinée de tous les enfans de cette paroisse I S’ils meurent de faim ou s’ils tournent mal, s’en croit-il responsable, dites ? A quoi bon refuser aux gens le grand secours de l’éducation ? Il peut y avoir un Burns ou un Giotto parmi nos paysans sans que nous le sachions. Pensez-y, chère maman !