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cohérence, produit de l’époque gladstonienne auquel manque absolument cette étroitesse intellectuelle qui faisait marcher droit vers un but, sans chanceler, le Chrétien musculeux. Depuis on a demandé « plus de douceur, plus de lumière, » et l’on est arrivé à l’incertitude qui engendre la faiblesse. Ces utopistes flottans et sincères, ces spéculateurs politiques, ces âmes inquiètes et troublées de poètes qui, trop souvent, n’ont que les qualités les moins grandes du tempérament poétique, forment un nombreux bataillon nommé le Quatrième Etat. M. Hamilton Aidé en a tiré son héros ; non qu’il ait voulu désigner lord W., ni lord C, ni lord L. La figure de lord Athelstone, d’une réalité si frappante, ne représente aucun de ceux-là, mais tous ceux-là sont en elle ; elle vit, assurément, mais c’est un type et non pas un portrait.


TH. BENTZON.


I.

Par un beau soir d’août, avant que la lune qui éclairait les moissons se fût levée sur ces champs d’orge blonde et sur ces vergers en pente douce qui entourent le village de Ripple, on eût pu voir une fillette de onze ans ramener une vache et son veau de l’herbage où ils étaient allés paître au flanc de la colline. Quelqu’un la vit en effet ; ce quelqu’un n’était autre qu’un jeune garçon rêvant tout seul, appuyé à la barrière qui sépare les bois d’Athelstone de certains terrains communaux, qui, du reste, dépendent aussi du propriétaire des bois. Ripple appartenait presque tout entier à lord Athelstone, dont les intérêts cependant se rattachaient davantage au village tout autrement populeux de Warley, beaucoup plus proche du château. Aussi Warley, lancé dans le courant moderne de la civilisation, s’enorgueillissait-il déjà de posséder des toits d’ardoise, tandis que Ripple abritait encore sous le chaume toutes les vieilles coutumes. Lord Athelstone accusait ses habitans de manquer d’initiative, non que lord Athelstone fût naturellement porté vers les innovations et les réformes, — au contraire, c’était un conservateur dans toute la force du terme, — mais il savait gré aux fermiers de Warley, plus entreprenans que leurs voisins, d’accueillir avec empressement les charrues à vapeur et autres machines agricoles honorées de son patronage. Tout en s’attachant avec force aux bonnes traditions du passé, sa seigneurie n’était pas homme à dédaigner les moyens dont la science pratique dote les cultivateurs quand l’utilité de ces moyens lui était clairement démontrée. Jamais aucun doute n’avait troublé d’ailleurs la sérénité de son esprit, il n’envisageait