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L'ILE DE CHIO

CHIO DANS L’ANTIQUITE ET AU MOYEN AGE. — LES MASSACRES DE 1822. — LE TREMBLEMENT DE TERRE DE 1881.

Entre tous les peuples des cités grecques, les habitans de Chio furent et sont encore renommés pour leur sagesse politique et leur sens pratique des choses de la vie. A Chio, les rêves de l’imagination, les entraînemens du cœur l’ont toujours cédé aux conseils de la raison. Les Chiotes, dans le cours de leur vie de peuple, ont souvent poussé la prudence jusqu’à la timidité, la circonspection jusqu’au renoncement aux plus généreux sentimens de patrie et de liberté. Qu’on ne nous fasse pas dire cependant au-delà de ce que nous écrivons. Les Chiotes ne furent pas lâches, — vingt combats attestent leur vaillance, — mais l’égoïsme, l’amour du gain, les jouissances de la richesse amènent l’oubli des vertus guerrières. On se fait à la crainte comme au courage, par l’exercice. On s’accoutume à ne point haïr la servitude pourvu que les intérêts n’en souffrent pas, et on arrive ainsi « à craindre naturellement les coups, » comme le bon Panurge[1]. Il semble que l’ambition des

  1. Les Chiotes savent bien qu’en Grèce, patrie des Canaris, des Tsavellas et des Botzaris, ils ne passent pas pour des foudres de guerre. Dans un curieux livre de M. D. Bikélas, Louki-Laras, traduit du grec moderne par M. de Queux de Saint-Hilaire, nous trouvons cette phrase caractéristique (il s’agit d’une scène de la guerre de l’indépendance, guerre à laquelle Louki-Laras ne prit pas part, bien qu’il fût en âge de combattre) : « N’allez pas sourire, lecteur, en pensant que je suis Chiote, et attribuer ma timidité à mon origine. »