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dans des genres fort divers. Il faut les extirper sans cesse, mais, en dépit des plus grands efforts, elles gagnent sans cesse du terrain. Il ne reste à Jéricho aucun vestige du passé, sauf une vieille tour en ruines qui sert de caserne à quelques zaptiés. Cette ville fameuse est aujourd’hui le plus sordide des villages arabes ; on l’appelait jadis la ville des Palmiers, et sa richesse était proverbiale ; on n’y trouverait pas aujourd’hui un seul palmier, et sa misère est effrayante. Il faudrait peu de chose cependant pour rendre à la terre son ancienne splendeur : quelques travaux d’irrigation permettraient d’y cultiver le riz, le safran, la canne à sucre, l’indigo, le mûrier, le lin, le chanvre, toutes les fleurs et tous les fruits. Malheureusement il ne suffirait pas d’y faire pousser d’abondantes récoltes, on devrait encore défendre ces récoltes contre les Bédouins des environs, qui font sans cesse des razzias dans une contrée largement ouverte à leurs incursions. Quoiqu’ils ensemencent une très faible partie de leur territoire, quoi qu’ils se contentent d’y recueillir quelque peu de froment, de douro et d’orge, les habitans de Jéricho ont besoin d’être armés sans cesse pour arracher aux voleurs les maigres moissons. On les voit le soir se porter auprès de leurs champs, des pistolets à la ceinture, des massues à la main, afin de passer la nuit en embuscade et d’éloigner à la fois les Bédouins et les animaux. La figure et l’allure de ces gardiens de récolte n’ont rien de rassurant, mais elles sont fort pittoresques à l’heure où l’obscurité qui s’avance en fait ressortir la saisissante originalité.

J’étais destiné à voir une série de beaux spectacles dans la même journée. Le coucher du soleil à Jéricho m’a laissé un profond souvenir. J’étais allé m’asseoir à l’extrémité des jardins de l’hôpital russe, sous un massif de citronniers en fleurs, en face d’un ravin au fond duquel coule une rivière entourée d’arbustes verdoyans. À ma droite, les derniers contre-forts des montagnes de la Judée, d’un vert velouté et nuancé d’or, venaient mourir lentement dans la plaine ; à ma gauche, la longue chaîne des monts de la Moabitide et de l’Ammonitide, d’un bleu intense, dessinait sur le bleu pâle du ciel ses formes élégantes. Entre les deux lignes de montagnes s’étendait une immense plaine grise, toute semblable à un désert. Plus près de moi commençait l’oasis de Jéricho, et la rivière qui coulait à mes pieds sur les cailloux et parmi des touffes de verdure ressemblait à un cours d’eau d’Europe dont on se déshabitue en Égypte, où il n’y a qu’un grand fleuve et des canaux. Des femmes y puisaient leur provision d’eau, qu’elles emportaient dans des outres en peau de bouc ; des troupeaux de bœufs et de buffles venaient y boire avec lenteur ; quelques Bédouins faisaient