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se traînant dans les chemins, essayant de se garantir contre l’ardeur du soleil au moyen d’immenses parapluies. Ils ont l’air exténués de fatigue ; néanmoins ils chantent tous d’une voix aiguë, plaintive, solennelle, et rien ne saurait rendre l’étrange effet de ces mélodies du Nord flottant ça et là sur un paysage d’Orient.

L’excursion de Bethléem n’est pas la seule, à beaucoup près, qu’on puisse faire avec un vif intérêt aux environs de Jérusalem. La plus facile, la plus courte de toutes est celle de la vallée de Josaphat, située au pied même de la ville, entre le mont Moriah et le mont Sion, entre l’emplacement du temple et celui de l’ascension de Jésus. L’aspect de cette vallée étroite et dévastée répond bien aux pensées que son nom seul inspire ; on n’y voit que des pierres et des tombeaux ; le lit du Cédron qui la traverse de part en part, comme un ruban grisâtre, ajoute encore à sa monotonie : c’est en vain qu’on y cherche quelques arbres ou quelques fleurs pour reposer les regards fatigués de tant d’aridité ; des touffes de verdure grillées par le soleil y sortent à peine de loin en loin des fissures des pierres tumulaires ; tout y est jaune, blanc, couleur poussière. « A la tristesse de Jérusalem, dont il ne s’élève aucune fumée, dit Chateaubriand, dont il ne sort aucun bruit ; à la solitude des montagnes, où l’on n’aperçoit pas un être vivant ; au désordre de toutes ces tombes fracassées, brisées, demi-ouvertes, on dirait que la trompette du jugement s’est déjà fait entendre, et que les morts vont se lever dans la vallée de Josaphat ! » Je ne sais comment la solitude et le silence qui règnent dans la vallée de Josaphat peuvent donner la sensation du réveil bruyant de l’humanité au jour du jugement dernier. L’impression que m’a produite ce morne paysage est plutôt celle de l’immobilité éternelle de la mort. On a peine à croire que l’élan subit de la résurrection puisse tout à coup animer ces montagnes solitaires et soulever ces pierres immobiles. J’ai déjà dit que les flancs du mont Sion étaient couverts de tombes juives ; quelques monumens, d’une architecture singulière, s’élèvent au milieu du champ de deuil : ce sont les tombeaux de Zacharie, de Josaphat, d’Absalon, la grotte de Saint-Jacques, etc, les uns en forme de pyramide, les autres composés de colonnes grecques fixées dans le roc, tous enfin offrant un mélange de styles du plus curieux effet. Les tombeaux des rois qu’il faut aller visiter à une petite distance de Jérusalem ne sont pas des monumens d’un art moins original. Complètement, déblayés grâce à la libéralité des Pereire, qui les ont achetés pour les préserver des outrages auxquels ils étaient exposés, on peut en étudier à loisir la disposition et la décoration. Ils forment une série de chambres creusées dans le roc. L’entrée principale, est ornée d’une très belle frise, un peu