le réveil de la vie saisi directement par la conscience, — tout cela constitue une harmonie véritable et profonde qui en elle-même a sa beauté. Quand on écoute au fond de soi, on entend toujours une sorte de chant sourd et doux. Se sentir vivre, c’est là le fond de tout art comme de tout plaisir. Quant à l’amour, même sous la forme du désir, n’est-ce pas là un élément qui, plus ou moins voilé, joua toujours un grand rôle dans la poésie ? Il entre aussi comme élément essentiel dans le plaisir que nous causent les belles formes ou les belles couleurs de la statuaire et de la peinture, les sons doux, caressans ou passionnés de la musique. On peut dire que l’art est en grande partie une transformation de l’amour. Considérer le sentiment esthétique indépendamment de l’instinct qui a pour but la perpétuité de l’espèce serait aussi superficiel que de considérer le sentiment moral à part des instincts sympathiques, où l’école anglaise, elle-même voit la première origine de la moralité.
Pour notre part, nous proposerons une définition des sensations esthétiques toute contraire à celle de MM. Spencer et Grant Allen, quoique conforme aux principes de l’évolution, et nous dirons qu’une sensation revêt un caractère esthétique dans la mesure où elle favorise et stimule la vie tout entière, d’abord la vie physique, ensuite et surtout la vie morale. En vertu de sa théorie, M. Grant Allen est porté logiquement à réserver le nom d’esthétiques aux sensations de l’ouïe ou de la vue, qui seules n’intéressent pas la vie en général. Pour nous, nous croyons que toute sensation agréable, quelle qu’elle soit, et lorsqu’elle n’est pas par sa nature même liée à des associations répugnantes, peut revêtir un caractère esthétique en acquérant un certain degré, d’intensité, de retentissement dans la conscience. Aussi pensons-nous, contrairement à la doctrine habituelle, à celle de Kant, de Maine de Biran, de Cousin et de Jouffroy, que tous nos sens sont capables de nous fournir des émotions esthétiques. Considérons d’abord les sensations de chaud et de froid, qui semblent si étrangères à la beauté. Un peu d’attention nous y fera découvrir déjà un caractère esthétique. On sait le rôle que jouent la « fraîcheur » ou la « tiédeur » de l’air dans les descriptions de paysage. Ce n’est pas seulement la lumière du soleil qui est belle, c’est aussi sa vivifiante chaleur, qui n’est d’ailleurs elle-même que de la lumière perçue par l’organisme tout entier. Un aveugle, voulant exprimer la volupté que lui causait cette chaleur du soleil invisible pour lui, disait qu’il croyait « entendre le soleil » comme une harmonie. Je me souviendrai toujours de la sensation extraordinairement suave que me causa, dans l’ardeur d’une fièvre violente, le contact de la glace sur mon front. Pour rendre très faiblement l’impression ressentie, je ne puis que la comparer au