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conséquences qui ne sont pas sans intérêt. Il permet peut-être de répondre à une question que se posent ceux qui étudient ou qui essaient de deviner l’histoire de ces temps reculés. Ils remarquent qu’à certains momens les habitudes paraissent changer et qu’une façon des vivre en remplace une autre : l’homme, par exemple, quitte les cavernes pour construire des cabanes ; puis il les groupe entre elles pour en faire des villages. Ses vêtemens, ses armes, ses ustensiles changent de former, il modifie la manière dont il enterré ses morts et dont il honore ses dieux. Ces changemens sont visibles, mais les causes qui les amènent restent obscures ; il y a deux manières de les expliquer entre lesquelles la science hésite. Se sont-ils produits peu à peu ou par de brusques secousses ? Faut-il croire que les populations anciennes se civilisèrent elles-mêmes par un progrès lent et continu, ou que de temps en temps des populations étrangères sont arrivées dans le pays avec des usages nouveaux qu’elles ont imposés par la force aux anciens habitans ? M, Al. Bertrand ne dissimule pas que cette dernière opinion lui paraît plus vraisemblable que l’autre, et il faut avouer que ce que nous venons de dire à propos des habitans des cavernes semble bien lui donner raison. Si l’on trouve chez eux quelques essais de sculpture élémentaire et un certain goût pour reproduire Les formes des animaux ou même des hommes[1] qui disparaissent tout à fait à l’époque suivante, n’est-ce pas la preuve qu’il y a eu une sorte d’interruption entre les deux époques, que les anciens habitans ont été soumis, refoulés et remplacés par des populations qui n’avaient plus les mêmes aptitudes ou que les scrupules religieux éloignaient des travaux de ce genre ? et, s’il en est ainsi, au lieu d’imaginer, comme on se plaît quelquefois à le faire, une sorte de progrès lent et pacifique, ne faut-il pas admettre, dans ces temps primitifs, une série d’invasions successives, et à chaque fois que l’on constate un changement important dans la façon de vivre de nos aïeux, croire qu’il a été introduit par un peuple nouveau qui a conquis l’ancien ?

Mais quels étaient ces peuples et d’où venaient-ils ? Voilà ce que nous désirerions bien savoir. Dans cette histoire à peine entrevue, une question qu’on résout en soulève une autre ; la curiosité redouble par la peine même qu’on prend pour la satisfaire ; le peu de lumière qu’on parvient à répandre sur ces ténèbres en fait mieux apercevoir l’obscurité, et le premier résultat d’une découverte qu’on

  1. M. le baron de Baye, qui a récemment fouillé cent vingt grottes dans la Champagne, a trouvé dans sept de ces grottes des sculptures faites en demi-relief sur les murailles. Ces sculptures représentent des figures humaines, probablement des femmes. Elles offrent des analogies frappantes avec les types retrouvés a Santorin et en Troade. Voyez, à ce sujet, l’article de M. A. de Barthélémy dans la Revue critique du 13 juin 1881.