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premiers habitans de la Gaule. Le renne, qui semble fuir devant la civilisation et dont les gens du Nord disent qu’il ne peut pas vivre où la vache a brouté. Parmi les découvertes qu’on a faites dans les cavernes, il y en a une qui a beaucoup surpris. Sur quelques-uns des instrumens primitifs, en bois ou en os, qu’on y rencontre en si grand nombre, on a remarqué, quelques lignes tracées par les hommes de cette époque et qui représentent les animaux qui leur étaient familiers ; on n’a pas de peine à y reconnaître des rennes, des aurochs, de bouquetins. Regardez, au musée de Saint-Germain, le moulage qui a été fait avec tant de soin du célèbre renne de Thaïngen : c’est une petite image gravée au trait, sur un morceau de bois, qui a été trouvée, en 1874, près de Schaffhouse, en Suisse. L’animal, qui se promène en broutant, la tête légèrement inclinée vers la terre, est reproduit avec une merveilleuse fidélité. Les connaisseurs assurent qu’un naturaliste seul, eu un homme toujours en présence d’un renne, en a pu rendre avec cette expression les allures et les formes[1]. Cette habileté de main, cette sûreté d’exécution : paraissent fort extraordinaires quand on songe au temps où l’image a été tracée. Ainsi des sauvages, qui vivaient dans des grottes, pêle-mêle avec leurs animaux domestiques, qui couchaient à côté de leurs ordures entassées, combien de siècles avant notre ère, Dieu le sait ! avaient senti s’éveiller en eux quelques instincts confus d’artistes. Ce qui ajoute à notre surprise, c’est que ces instincts ne paraissent pas s’être développés dans l’âge suivant. L’époque qui va venir après celle où l’homme vivait dans les cavernes sera beaucoup plus civilisée ; mais l’homme, en devenant moins barbare, semblé avoir perdu le secret de tracer sur les outils dont il se sert les contours et la forme des animaux qui l’entourent. Ses ustensiles sont plus commodes, ses armes plus redoutables et mieux travaillées ; il fabrique pour son usage des vases de terre, il dresse de grandes pierres pour clore sa demeure ou son tombeau ; mais sur ces pierres ou ces vases on n’a encore retrouvé aucune image d’hommes ou d’animal. Il ne sait plus y graver que des lignes qui se correspondent ou qui se fuient, des combinaisons régulières ou des méandres capricieux, qui sont de purs ornemens et ne reproduisent rien de réel. Nous voyons donc ici à un progrès manifeste se mêler une sorte de décadence.

Il me semble qu’on peut tirer de ce fait singulier quelques

  1. « Les figures d’animaux sculptées sur ces objets, dit M. Worsaae. (Colonisation de la Russie), sont d’une conception et d’un dessin, qui peuvent exciter la surprise ; mais, d’autre part, elles rappellent d’une façon frappante de semblables sculptures en os, faites de nos jours chez certaines tribus d’Esquimaux qui peuvent, à différens égards, être comparées aux antiques populations de la période du renne. »