Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/710

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le poète comique n’a pas charge de récompenser les bons et de punir les méchans ; il n’a pas à composer le spectacle de la vie humaine selon les règles d’une justice extérieure à ce monde, mais seulement à nous le montrer sous un angle choisi. D’abord cette vue doit forcer le rire ; il se peut qu’ensuite elle inspire des pensées moroses, et que Pathelin, en fin de compte, nous laisse une impression de tristesse. Mais c’est justement le caractère de la véritable comédie ; elle doit faire rire aux éclats, mais faire rire aux larmes, et cette tristesse est salutaire qui suit l’hilarité. L’auteur comique ou a farcesque, » en montrant la justice interrompue dans ce monde, — et je dis interrompue pour mettre les choses au mieux, — nous remet en garde contre un optimisme où la volonté des meilleurs s’amollirait délicieusement ; il nous retrempe d’ironie pour ce combat perpétuel dont nos jours de bonheur ne sont que des trêves ; il nous revêt de cette courageuse et utile défiance que nous quittons volontiers, à nos heures de relâche, comme une trop raide et trop lourde armure. Pas plus que M. Renan je ne trouve nobles les soucis de cet avocat « sous l’orme » discourant avec sa femelle des moyens de remplacer leurs vieilles robes, usées « plus qu’étamine ; » ni la joie de ce drapier, qui vend vingt-quatre sous l’aune un drap payé trop cher à vingt sous, ni la ruse de ce berger, qui vole tour à tour son maître et son défenseur : — mais si je connaissais, en cette belle saison, un jeune homme, qui se fût attendri à relire, comme le veut M. Renan, sous l’ombrage des arbres verts ou sur le sable doré d’une plage, auprès d’une fine amie, les aventures de Roland ou de Lancelot, ou d’Aucassin et de Nicolette, ou d’Amis et d’Amile, ou simplement quelques pages de la Vie de Jésus, je lui conseillerais, aussitôt rentré dans ce tumultueux Paris et avant de reprendre quelque virile besogne, d’aller voir à la Comédie-Française la Vraie Farce de Pathelin, qui l’avertirait de serrer au fond de son cœur ses chimères — et de se munir à nouveau d’ironie et de courage contre les réalités urgentes.


Louis GANDERAX.