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et à l’immortalité de l’âme, et, à force de l’y chercher, ils retrouvent dans les Védas la Confession du vicaire savoyard ; par tout pays, l’interprétation fait des miracles. Rationalistes en religion, ils sont aussi de grands raisonneurs en sciences sociales et économiques. « Dès leur jeunesse, ils ont médité sur les origines, sur les progrès, sur le déclin des empires ; ils connaissent l’importance relative et les ressources de toutes les grandes puissances de ce monde, la constitution et les privilèges des états monarchiques, despotiques ou républicains, les arrangemens territoriaux résultant des guerres modernes, les diverses nationalités dont les royaumes se composent. Ils suivent avec une vive curiosité les débats du parlement et cherchent à se rendre compte de l’effet que peut produire tout événement sur les destinées de l’Angleterre. » Ils observent, ils s’informent, ils argumentent, ils concluent, et depuis longtemps ces pupilles se sont mis à discuter leurs tuteurs.

Ils soutiennent dans leurs deux cents journaux des thèses inquiétantes. Ils prétendent par exemple que, sous le régime anglais, la richesse de l’Inde décroît. Ils signalent les sommes énormes que la colonie verse chaque année dans les caisses de la métropole ; ils n’ajoutent pas que, dans ces paiemens, figurent le prix d’articles importés, la rémunération de services rendus, l’intérêt du capital qui fructifie dans les huit présidences. Ils se plaignent avec plus de raison que certaines industries nationales, jadis florissantes, sont tombées en décadence, que certaines sources de revenus tendent à tarir. Enfin, tout en reconnaissant les bienfaits de l’occupation anglaise, qui les a dotés de télégraphes, de chemins de fer, d’une justice intègre, d’une administration probe et correcte, ils aiment à se demander si le moment n’est pas venu de leur accorder aussi les bienfaits du self-government ? « Est-il prouvé, disent-ils, que les Anglais nous soient encore nécessaires ? Ils nous ont appris beaucoup de choses ; nous n’avons plus besoin de leurs leçons. Désormais nous sommes en état de nous tirer d’affaire, de nous gouverner nous-mêmes. Nous tiendra-t-on toujours en tutelle ? Sommes-nous condamnés à être d’éternels mineurs ? Qu’attend-on pour nous donner les droits politiques, pour lever l’interdiction qui pèse sur nous, pour nous émanciper, pour nous mettre hors de page ? » Ce sont là des raisonnemens dangereux et des impatiences qui remettraient tout en question, si elles devenaient contagieuses. Certaines propagandes feraient courir de grands risques à un empire où l’armée se compose de soixante-six mille Européens, de cent trente mille natifs. N’a-t-on pas vu en 1857 de quoi des cipayes sont capables ?

Il en va tout autrement en Algérie, et nous n’avons pas à craindre qu’avant peu les Arabes en sachent plus que nous. Le malheur est au contraire qu’ils se laissent difficilement apprivoiser et qu’il faudra beaucoup de temps et d’efforts pour dompter les résistances de leur esprit ou les rébellions de leur sang. De farouches pessimistes prétendent