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L’INDE ET L’ALGÉRIE


Comparer l’Algérie à l’Inde, c’est assurément comparer le petit au grand. Qu’est-ce que les trois provinces d’Oran, d’Alger et de Constantine au prix de cet immense empire qui compte 240 millions d’habitans, où dans le cours de vingt-quatre années seulement à 4 milliards de francs ont été employés en travaux publics et dont le commerce d’importation et d’exportation s’élève à 110 millions de livres sterling par an ? L’Inde est un monde ; l’Algérie, disait dédaigneusement un Anglais, est une colonie de poche, une loge à l’Opéra.

Toutefois les Anglais eux-mêmes font grand cas de cette colonie de poche ; ils en apprécient les beautés, ils en goûtent et en recherchent le séjour, et ils reconnaissent tous les efforts, tous les sacrifices qu’a dû s’imposer la France pour rendre habitable un pays qui ne l’était pas, pour transformer autant qu’il était possible un nid de corsaires en jardin. Toute proportion gardée, il était moins aisé de coloniser l’Algérie que de donner un bon gouvernement aux Indous. « Trois élémens sont nécessaires à toute colonisation, lisons-nous dans un ouvrage récemment paru, dont l’auteur est un homme de sens rassis et d’excellent jugement : il faut des bras, du bois et de l’eau. Or en Algérie ces élémens font souvent défaut tous trois à la fois. En ce pays conquis il y a quelque chose qui tient du drame dans les relations entre la terre et l’homme. La terre se défend ; à l’instar de certains animaux qui projettent leur venin sur qui ose les toucher, elle inocule traîtreusement la fièvre aux colons qui prennent la licence de creuser des sillons à sa surface. Ces mêmes sillons, courageusement renouvelés, engloutiront deux ou trois générations ; puis vaincue par l’opiniâtreté de ses adversaires, la terre se rend. Après avoir tué les uns, elle donne la santé aux autres, les enrichissant par-dessus le marché[1]. » Il y a dans ce monde

  1. En Algérie, à traders l’Espagne et le Maroc, par Th. Vernes d’Arlandes ; Paris, Calmann Lévy, 1881.