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Quel charme de mélancolie ce lied suédois, délicieusement amené, ouvragé répand sur la situation ! On songe aussi à la ballade de George Bizet dans les Pêcheurs de perles, à cette fiancée endormie au fond du lac d’azur dont le musicien berce le sommed mystérieux par des accords progressifs et des modulations d’une extraordinaire intensité et, pour ne laisser en dehors aucun mérite, citons encore le récit de la reine Gertrude dans une partition d’Hamlet ignorée du public et que bien des artistes et des amateurs entourent d’estime. L’auteur, M. Hignard, semble avoir fait de cette composition la tâche unique de sa vie. Ce n’est pas simplement une traduction du chef-d’œuvre, c’en est le mot à mot. Qu’on se figure une illustration du texte original par la musique, le tout d’une sobriété singulière, d’une irréprochable netteté de trait ; nous avons mainte fois pris la liberté de critiquer en un pareil sujet les élégances florianesques de M. Ambroise Thomas, par exemple, cette Ophélie qu’un peuple de bergers et de bergères accompagne et qui, tandis que ce joli monde de Watteau gambade autour d’elle, prélude à sa noyade en gazouillant des airs de valse ; avec M. Hignard, c’est l’excès contraire, vous lui reprocheriez de vouloir être plus shakspearien que Shakspeare ; par moment, il remonte au-delà jusqu’à Saxo Grammaticus : « Entraîné irrésistiblement à mettre en musique cette étrange et terrible tragédie, nous venons après de longues années de méditation et de travail, soumettre aux rares personnes que les questions d’art intéressent encore, une œuvre lyrique qui respecte la pièce originale dans son majestueux ensemble, dans ses détails et même dans ses bizarreries. » Ainsi s’exprime l’auteur en commençant et de ce paragraphe de l’avant-propos, on peut aisément conclure à tout un système de psychologie dramatique où la mélopée et le récitatif prédomineront, ce qui n’empêchera point les cantilènes douces et plaisantes d’éclairer de loin en loin le sombre paysage. En ce sens, les stances d’Ophélie au début du finale du second acte ont droit à tous nos éloges :

Science, courtoisie, épée,
Il connaissait tout et si bien !
Pour régner cette âme trempée
A me plaire était occupée,
A moi, pauvre fille de rien


Impossible de rendre mieux la navrante mélancolie de ces paroles. Du reste, ce sentiment règne sur toute la partition ; d’un bouta l’autre, la note caractéristique est intrépidement maintenue, non sans quelque monotonie, je l’avoue, mais en fin de compte, lorsqu’on s’attaque à de tels sujets, il convient pourtant de ne les point traiter comme une idylle. Il va de soi que la tragédie lyrique de M. Hignard n’a jamais été