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académie de musique et de danse, qui coûte à l’état 800,000 francs par an ? Là devrait, ce semble, se porter notre sollicitude principale. Que M. Perrin et M. Halanzier aient fait à l’Opéra une grande fortune et que M. Vaucorbeil risque d’en faire une moindre dans des conditions de prospérité qui n’ont pas varié, cela tient à des considérations particulières où la critique n’a rien à voir ; l’unique point qui doive l’intéresser est de rechercher si les choses vont comme il convient et si le directeur remplit tout son mérite. Combattre les abus, pousser aux réformes utiles, veiller au relèvement d’une troupe qui montre ses brèches, au renouvellement d’un répertoire démantelé par le temps ; encourager les nouveaux, évoquer les anciens, Gluck, Mozart, Spontini ; en un mot, travailler à rétablir le niveau d’une scène en train de s’effondrer, voilà qui vaudrait mieux que de supputer par sous et deniers ce qu’un entrepreneur pourrait ajouter de petits profits à son affaire en louant les loges et les stalles à la criée et liant commerce avec les marchands de billets. N’est-ce pas une leçon bien attristante de comparer ce qui se passe chez nous avec le mouvement lyrique des grands théâtres étrangers ? Au cours d’un exercice de dix mois environ, — du 24 août 1880 au 14 juin 1881, — l’Opéra de Berlin donne deux cent vingt-six représentations, dont le tableau mériterait d’être placé en permanence dans la salle où notre commission du budget des beaux-arts tient ses séances et d’y témoigner comme un exemple de ce qui se devrait faire et que nous ne faisons pas. Il suffirait à quelqu’un d’avoir exactement suivi ce répertoire pour se trouver en possession d’une somme très sortable d’informations musicales et connaître les diverses écoles, tant du passé que du présent et de l’avenir. Nous y voyons Gluck, Mozart, Beethoven, Cherubini tenir cour plénière au milieu d’ouvrages et même de chefs-d’œuvre dont en France on ignore le nom : Iphigénie en Tauride, Armide, Don Juan, Idoménée et le Lac des fées, Lohengrin, Fidelio et le Néron de Rubinstein ; les Huguenots, la Juive, la Muette faisant vis-à-vis au Joseph de Méhul, aux Joyeuses Commères de Nicolaï, aux Deux Journées ; et dans ce prestigieux défilé d’œuvres diverses, dans cette course aux partitions, veut-on savoir laquelle a remporté le prix ? Carmen, la Carmen de Bizet, qui compte à son profit vingt-trois représentations, tandis que le Lohengrin de Wagner, arrivé second, n’en a que treize. Singulière destinée de la meilleure partition dramatique que notre jeune école ait donnée ! A Londres, trois théâtres se la disputent ; l’Allemagne semble l’adopter par-dessus ses prédilections les plus chères, et nous, ici, nous la délaissons ! Je me demande si cette espèce de défaveur ne doit pas être attribuée au poème, dont la crudité souleva dès l’origine mainte objection facile à s’expliquer chez les habitués de l’Opéra-Comique, surtout quand on réfléchit que l’actrice chargée du rôle principal en accentuait encore le côté scabreux par toutes