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comment un pharaon, avec tout son cortège d’inutiles, aurait-il pu jamais songer à s’y installer, comment s’y serait-il jamais senti à l’aise ?

Si ce n’était pas une habitation, qu’était donc l’édifice qui se dresse en avant du temple que le vainqueur de tant de peuples conjurés contre l’Égypte a consacré sa propre gloire ? Jetez les yeux sur les bas-reliefs qui le décorent au dedans comme au dehors, et vous reconnaîtrez qu’il mérite, en tout état de cause, ce nom de pavillon royal qui lui a été donné par les savans français. C’est le souvenir, c’est l’image du roi Ramsès qui le remplit tout entier. Dans l’intérieur, vous y voyez des scènes de harem. Ramsès est chez lui, au milieu de sa famille. Ici l’une de ses filles lui apporte des fleurs dont il respire le parfum ; là il joue aux dames avec une autre ; ailleurs il reçoit des fruits d’une troisième, dont il caresse le menton en signe de remercîment. Sur les murs extérieurs, vous avez des scènes de guerre. Avec l’assistance de son père Ammon, Ramsès terrasse ses ennemis ; à chacun d’eux le sculpteur a donné, avec une merveilleuse fermeté de ciseau, le costume, les armes, les traits particuliers qui le distinguent. Tous sont renversés, tous vont périr sous les coups du triomphateur.

L’explication que ne suffit pas à fournir la disposition de l’édifice, ne convient-il pas de la chercher dans cette perpétuelle mise en scène de la personne royale, partout présente, partout figurée dans la variété des occupations privées et publiques qui remplissent la vie du souverain ? Le retour constant de cette même image, qui du haut en bas occupe tout le champ des murs, nous avertit, ce semble, que le pavillon n’est, lui aussi, qu’un monument commémoratif. C’est une ingénieuse et brillante addition faite à la partie extérieure et publique de la tombe, au cénotaphe. Ailleurs celui-ci ne se compose que du temple, de ses cours et de ses pylônes ; mais ici, pour distinguer son œuvre de celle de ses prédécesseurs et pour laisser à la postérité une plus haute opinion de sa puissance et de sa magnificence, le prince a jugé bon d’ajouter au temple un autre édifice qui se groupe avec lui de la manière la plus heureuse et qui lui sert en quelque sorte de vestibule. Où a-t-il pris la donnée première et la silhouette de cette construction qui, pour nous, est unique en son genre ? Il nous est difficile de le dire ; peut-être parmi ces bâtimens divers, répartis sur une vaste étendue de terrain, qui formaient par leur réunion les palais des pharaons, y en avait-il qui présentaient à peu près cet aspect. Mariette est pourtant d’un autre avis. À plusieurs reprises, il est revenu sur cette question, et voici son dernier mot à ce sujet : « Vu de loin et dans le paysage, l’idée que le pavillon de Ramsès évoque par les lignes générales de son architecture, c’est celle de ces tours triomphales (migdol) dont