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est multiple, complexe et, si l’on peut ainsi parler, diffus. Il ne se compose point, comme les palais modernes de l’Occident, d’un édifice unique qui forme un ensemble homogène et se laisse embrasser tout entier par un seul regard ; il ne ressemble point aux Tuileries ni à Versailles. C’est une collection de bâtimens d’importance très inégale et qui ont été construits par des princes différens ; c’est une suite de pavillons que séparent de beaux jardins ou des cours plantées d’arbres ; pour mieux dire, c’est tout un quartier, c’est toute une ville à part, une cité royale, qu’une muraille élevée enveloppe de tous côtés. A l’intérieur, dans la partie la plus voisine de l’entrée, s’ouvrent les riches salles où le maître daigne s’asseoir parfois pendant quelques heures sur son trône ou sur son divan pour donner audience et pour recevoir les hommages de ses sujets ou ceux des ambassadeurs étrangers ; autour de ces pièces, ouvertes à un certain nombre de privilégiés, fourmille tout un peuple d’officiers, de soldats et de serviteurs. C’est ce qui, dans de bien autres proportions que chez le simple particulier, correspond au sélamlik de la maison orientale. Plus loin, derrière des portes jalousement gardées, s’étend et se prolonge le harem ; c’est là que le roi passe tout le temps que ne lui prennent pas la guerre ou les conseils. Tous ces bâtimens laissent entre eux assez d’air et d’espace pour que le roi puisse, s’il en a la fantaisie, rester des mois et des années sans en sortir ; il fait manœuvrer ses troupes dans les vastes cours ; il se promène à pied, à cheval on en voiture dans les allées de ses parcs ; ses thermes et ses étangs lui offrent les plaisirs du bain chaud et froid ; parfois il possède, dans l’enceinte même, des terrains de chasse.

Il y a toujours eu, dans ces facilités et ces séductions, une tentation périlleuse pour le souverain oriental. Combien elle serait longue, la liste des dynasties qui, douées, à leur début, d’une singulière et puissante énergie, se sont, dans le cours de quelques générations, affaiblies et comme endormies dans les délices du palais ! Elles s’y sont si bien énervées qu’un jour est venu où il a suffi du choc le plus léger pour jeter à bas du trône le dernier rejeton d’une ligne de conquérans. Vous vous rappelez l’histoire tragique de Sardanapale et tout ce qu’elle a fait écrire de prose et de vers chez les anciens et les modernes. La critique contemporaine n’en laisse pour ainsi dire rien subsister ; noms, dates, faits, elle a tout mis en doute, et cependant, quand il nous serait bien démontré qu’il faut renoncer à tous les détails consacrés par la tradition, cette histoire n’en resterait pas moins vraie, vraie de cette vérité supérieure et générale qui fait le prix et l’autorité de la légende. C’est par un Sardanapale que finissent presque toutes les races royales de l’Orient, car Sardanapale n’est pas autre chose que