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disparu de bonne heure, sans laisser de traces sur le sol de l’Égypte.

Depuis les siècles les plus lointains dont nous ayons gardé mémoire, l’Orient a bien peu changé, malgré l’apparente diversité des races, des empires et des religions qui s’y sont succédé sur la scène ; or on sait quel nombreux domestique y suppose la vie royale et seigneuriale telle qu’elle y a été entendue et pratiquée de tout temps. Le konak du moindre bey, du moindre pacha renferme toute une armée de serviteurs, dont chacun rend bien peu de services. C’est par milliers que se comptent les domestiques qui peuplent le sérail du sultan à Constantinople ou celui du padischah à Téhéran. Ce qu’il y a là d’eunuques et de palefreniers, de balayeurs et de cuisiniers, d’atechdjis, de cafedjis et de tchiboukdjis, personne n’en sait le chiffre exact. Une telle existence, une telle extension de la domesticité suppose d’amples communs où cette multitude puisse se loger tant bien que mal, avec femmes et enfans. Afin de pourvoir à l’entretien de tout ce personnel, il faut aussi des provisions considérables et des réserves toujours prêtes ; il faut des magasins où viennent s’entasser les dons plus ou moins volontaires des sujets, les tributs perçus en nature et les récoltes que produisent les immenses propriétés du souverain. Dans ces vastes enclos dont les hypogées de Tell-el-Amarna nous ont conservé les plans, il y a place pour toutes ces dépendances ; on les y voit, réparties autour d’une succession de cours, s’étendre et se prolonger au loin, en arrière et des deux côtés des bâtimens principaux, de ceux qu’habitaient le souverain et sa famille. Si, dans le cours d’un long règne, cette famille s’augmentait (Ramsès II eut cent soixante-dix enfans, dont cinquante-neuf fils), s’il fallait agrandir le palais pour monter la maison de chacun des princes royaux, rien de plus facile que d’empiéter sur les campagnes voisines et de développer ainsi bâtimens et jardins de plaisance.

Quelque spacieuse que soit la grande enceinte de Karnak, la royauté égyptienne, telle qu’on se la représente d’après les textes et d’après toutes les analogies, ne s’y fut pas trouvée à l’aise ; toujours elle se serait sentie à l’étroit derrière ces hautes barrières, dans cet espace clos par une ligne inflexible, au milieu de ces montagnes de pierre. Le palais oriental veut un cadre plus souple et plus large. Étudiez-le, des rives du Gange à celles du Bosphore, tel que l’ont fait les nécessités du climat, la vie de harem et l’extrême division du travail ; que vous évoquiez les souvenirs de Suze et de Persépolis, de Babylone et de Ninive, ou que vous visitiez soit les résidences royales d’Agra et de Delhi, dans l’Inde, soit même, sans aller si loin, le Vieux-Sérail, à Constantinople, partout, sous la diversité des ornemens qui varient suivant les siècles et les lieux, vous serez frappé d’un même aspect, d’un même caractère général : le palais