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depuis plusieurs mois, par suite des instructions données par le ministre des finances, les traitemens de tous les fonctionnaires, les factures des fournisseurs du gouvernement et les coupons des rentiers sont payés exclusivement en billets de banque et en argent : tout l’or que reçoivent à un titre quelconque les agens du trésor doit être retenu par eux, et il est versé par les trésoriers payeurs-généraux à la Banque ou à ses succursales, au crédit du compte courant du trésor. C’est ainsi que l’approvisionnement d’or de la Banque a été entretenu depuis le commencement de l’année. Cet expédient n’appellerait aucune critique, si on y avait eu recours à titre transitoire pour procurer à la Banque, dans une heure critique, une assistance dont elle aurait eu momentanément besoin, et pour éviter aux affaires la secousse d’une brusque et considérable élévation de l’escompte ; mais sa prolongation présente des inconvéniens qu’on aperçoit aisément. En effet, le bilan de la Banque a cessé d’être ce qu’il était autrefois : l’indicateur fidèle et, pour ainsi dire, automatique du mouvement des métaux précieux dans notre pays. Ce bilan, que tous les financiers du monde consultent assidûment et qui est la seule source de renseignemens authentiques offerte au public, ne traduit plus le mouvement imprimé aux métaux précieux par les opérations commerciales : il indique simplement l’écart entre les demandes d’or faites par le commerce et les versemens opérés par les trésoriers payeurs-généraux ; il n’apprend plus rien sur les sorties effectives de numéraire. Le commerce peut prendre à la Banque 15 ou 20 millions d’or par semaine sans que rien, dans le bilan, en avertisse le public, si le trésor a fait dans le même intervalle des versemens d’or équivalent. Tout l’or de la France peut passer par les caisses de la Banque, comme à travers un crible, pour s’en aller à l’étranger sans que l’on s’en doute, l’encaisse de la Banque demeurant stationnaire, au moins en apparence. Ce drainage de notre or aurait-il des conséquences moins préjudiciables aux intérêts du commerce pour s’être opéré en quelque sorte clandestinement ? On serait tenté de croire le contraire en se rappelant le proverbe qui dit qu’un bien averti en vaut deux. Si l’exportation de l’or français ne s’arrête pas, il faudra toujours en venir aux seules mesures défensives qui soient efficaces, l’élévation de l’escompte et sa limitation aux effets à deux mois ; mais ces mesures défensives devraient être prises avec d’autant plus de rapidité et de rigueur et frapperaient d’autant plus rudement le commerce qu’elles auraient été différées plus longtemps. La connaissance des efforts faits par le gouvernement pour en retarder l’emploi ne manquerait pas d’ajouter aux appréhensions du public.

Il est à souhaiter qu’une abondante récolte en céréales et en