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Si le système que l’on a adopté pour l’exécution des grands travaux d’utilité publique donne prise à de sérieuses critiques, l’instrument qu’on a créé pour l’application de ce système n’est pas moins défectueux. Cet instrument est la rente amortissable, sur laquelle personne ne peut plus se faire d’illusions. C’est un mode d’emprunt onéreux pour l’état qui emprunte, peu avantageux pour les particuliers qui prêtent, et auquel il faudra prochainement renoncer, faute d’un marché suffisant. On s’était flatté de séduire les prêteurs par l’appât de la prime de remboursement et des tirages annuels, mais il ne pouvait échapper à personne qu’aux cours élevés auxquels la nouvelle rente a été émise, l’état récupérait la plus grande partie de la prime de remboursement par le sacrifice d’intérêt que les prêteurs consentent indirectement en acceptant de payer pour la rente amortissable environ 2 francs de plus que pour le 3 pour 100 perpétuel. Les établissemens qui ont le caractère de personnes civiles, les établissemens de bienfaisance, les fabriques, les compagnies d’assurances peuvent sans inconvénient acquérir des rentes amortissables : d’une part, le placement de leurs disponibilités en fonds publics leur est imposé, et ces placemens ne peuvent être modifiés sans autorisation ; d’autre part, la longue durée de leur existence les assure que l’encaissement de la prime les rendra indemnes dans tous les cas, même en supposant que e sort ne les favorisera jamais. Les particuliers, au contraire, ne sauraient perdre de vue que le calcul des probabilités leur impose une attente moyenne de cinquante années pour la sortie de leurs titres. Quel homme sachant calculer, quel père de famille surtout, sacrifiera, en donnant la préférence à la rente amortissable sur la rente perpétuelle, 3 ou 4 pour 100 du revenu de ses placemens ? La prime est trop faible et l’encaissement en est trop incertain et trop éloigné pour que les gens sensés se laissent séduire : il faudrait que les cours de la rente amortissable redescendissent aux environs de 75 francs ; mais à ce prix, l’état renoncerait à un mode d’emprunt aussi onéreux. Même aux cours actuels, l’état ne fait pas une opération avantageuse. Si l’on prend la période entière de soixante-quinze ans, le service de la rente amortissable coûte au trésor 7 à 8 pour 100 de plus que le service du même capital en rente perpétuelle ; mais il y a dans cette période des séries d’années où la différence est beaucoup plus forte et peut devenir une source d’embarras pour le ministre des finances : la surcharge moyenne elle-même méritera d’être prise en considération le jour où les emprunts en rente amortissable s’élèveront à plusieurs milliards. À ces inconvéniens opposera-t-on l’extinction finale de la dette, qui sera la conséquence de cet amortissement obligatoire ? Mais- il est évident que le