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Avez-vous va dans Barcelone,
Une Andalouse au sein bruni,
Pâle comme un beau soir d’automne ?
C’est ma maîtresse, ma lionne,
La marquesa d’Amaëgui.


Dans l’origine, son amoureuse se nommait la marchesa d’Améoni, ce qui constituait une rime très sortable à « l’Andalouse au sein bruni ; » mais quand sonna l’heure de la défection, Améoni devint Amaëgui ; les deux vers ne rimaient plus guère ensemble, mais on avait affirmé ses nouveaux principes en narguant l’école et le maître sans avoir l’air de se prendre soi-même au sérieux, ce qui était le comble de la fashion.

Vous trouverez, mon cher, mes rimes bien mauvaises ;
Quant à ces choses-là, je suis un réformé ;
Je n’ai plus de système et j’aime mieux mes aises,
Mais j’ai toujours trouvé honteux de cheviller.
Je vois chez quelques-uns, en ce genre d’escrime,
Des rapports trop exacts avec un menuisier.


Cependant un art est un art ; il a ses règles et sa tablature qu’on ne doit transgresser ni fausser. Écrire en vers sans tenir aucun compte de la rime, c’est imiter les compositeurs italiens de la période rossinienne, n’en voulant qu’à la mélodie et dédaignant l’orchestre. Sur ce point, Musset ressemblerait beaucoup à Bellini ; tous les deux se chantent eux-mêmes à l’infini, tous les deux se répandent en soupirs, en cavatines ineffables : Costa diva, les Nuits, quels adagios ! mais en revanche, par momens, quelle pauvreté dans l’orchestre ! La Coupe et les Lèvres nous offre un spécimen de la langue que Musset eût parlée s’il avait écrit en vers pour le théâtre ; tout porte à croire qu’il eût alors employé l’alexandrin à rimes croisées adopté par Voltaire dans Tancrède et si favorable à l’ampleur du discours :

De tous les fils secrets qui font mouvoir la vie,
O toi, le plus subtil et le plus merveilleux,
Or, principe de tout, larme au soleil ravie !
Seul dieu toujours vivant parmi tant de faux dieux !
Laisse-moi t’admirer, parle-moi, viens me dire
Que l’honneur n’est qu’un mot, que la vertu n’est rien,
Que dès qu’on te possède on est homme de bien.
………
Que de gens cependant n’ont jamais vu qu’en songe
Ce que j’ai devant moi ! — Comme le cœur se plonge