négligeai rien pour faire, quand l’heure serait venue, bonne figure dans la petite salle de la Sorbonne, qui nous semblait alors un antre redoutable. Le labeur que je me distribuais moi-même, la tâche quotidienne, tâche assez lourde, que je m’imposais et que je ne répudiai jamais, m’apprirent à aimer le travail et m’en donnèrent un goût qui a persisté. C’est en faisant acte de volonté pour m’instruire que je m’aperçus de mon ignorance et que je compris que tout était à refaire. Bien souvent, dans les années qui suivirent immédiatement ma sortie du collège, lorsque j’employais mes soirées à rapprendre le grec et le latin, je me suis reproché le temps que j’avais perdu en faisant mes humanités, et bien souvent aussi je me suis demandé si les méthodes à la fois pesantes et superficielles, dans lesquelles on enfermait alors les écoliers, n’avaient pas été pour beaucoup dans ma révolte et dans ma paresse. Le système qui consiste à briser l’initiative personnelle, à discipliner quand même tout ce qui ne rentre pas dans les limites d’une règle absolue, est mauvais pour l’esprit et ne produit que des résultats médiocres dont seuls se contentent les caractères indécis et les intelligences sans curiosité.
En 1840, au moment où j’allais saisir enfin cette indépendance à laquelle j’avais tant aspiré, la France était troublée. Un souffle de guerre avait passé sur l’Europe. M. Thiers brouillait les cartes diplomatiques ; Mehemet-Ali menaçait le trône de sultan Mahmoud ; notre chauvinisme se réveillait avec fracas ; on ajoutait des phrases belliqueuses aux pièces jouées sur les théâtres, toute allusion était applaudie ; dans les salles de spectacle, l’orchestre jouait des airs patriotiques. Lamartine chantait la Marseillaise de la paix, Alfred de Musset répondait à Becker par les strophes du Rhin allemand ; Victor Hugo faisait entendre sa grande voix :
- T’insulter, t’insulter, ma mère !
- N’avons-nous pas tous, ô ciel !
- Parmi nos livres, près d’Homère
- Quelque vieux sabre paternel ?
Ce fut un feu de paille qu’éteignit la sagesse de Louis-Philippe avant que l’incendie se fût propagé. On cria à la trahison, à l’abaissement du pays, dont « le drapeau avait flotté sur toutes les capitales de l’Europe, » et bientôt on n’y pensa plus, car l’intérêt était concentré sur le procès de Mme Lafarge, qui avait saisi la passion publique. C’est à peine si l’on accorda quelque attention au prince Louis-Napoléon Bonaparte, qui comparaissait devant la cour des pairs et revendiquait la responsabilité de la tentative avortée à Boulogne-sur-Mer. L’accusé fut condamné à la détention perpétuelle. Lorsqu’il reçut connaissance de l’arrêt de la cour