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commencé par quelques actes de sévérité. Il a remplacé quelques-uns des officiers chargés de conduire les colonnes actives, le commandant de la province d’Oran et même le commandant supérieur du 19e corps d’armée. Il a envoyé, comme chef militaire à Alger, un homme connu pour ses services et pour une courte apparition dans la politique, M. le général Saussier. M. le ministre de la guerre qui, lui aussi, a sa responsabilité, même la première responsabilité et dans l’organisation de l’expédition de Tunis et dans les affaires de l’Algérie, M. le ministre de la guerre est sans doute le premier juge des mesures de commandement et des choix de personnel devenus nécessaires dans une situation qui a ses difficultés. Qu’on change donc des officiers, qu’on envoie de nouveaux généraux avec la recommandation d’être plus heureux, qu’on établisse postes et redoutes à la frontière comme on l’a proposé ou qu’on transporte les sièges des divisions dans l’intérieur, comme l’a demandé un député de l’Algérie, soit ; ce sont des actes de circonstance et de prévoyance qui peuvent s’expliquer ; mais il est bien clair qu’on aura, beau multiplier les palliatifs, on n’aura rien fait tant qu’on ne se sera pas placé résolument en face de la vraie question d’organisation et de gouvernement pour nos possessions africaines. M. le général Saussier lui-même, quel que soit son mérite, risquerait fort d’échouer si aux instructions nouvelles qu’il a dû recevoir on n’ajoutait pas des pouvoirs plus étendus, surtout mieux définis, si on ne lui donnait pas, avec l’ordre de rétablir la paix et l’ascendant de la France, les moyens de remplir sa mission. Il faut bien se dire, en fin de compte, que les expériences d’assimilation et de gouvernement civil qui ont été tentées n’ont que médiocrement réussi, que l’Algérie n’est pas la France, qu’une colonie où il y a plus de 2 millions d’Arabes à côté de 250,000 Européens ne peut pas être administrée comme un département français, que pour maintenir la sécurité nécessaire à une sérieuse colonisation, il faut une autorité énergique, efficace surtout par l’unité de pouvoir. Que cette autorité doive être humaine, intelligente, libérale et qu’elle ne procède pas par l’extermination des Arabes, comme le proposent certains civilisateurs, — qu’elle soit, de plus, incessamment soumise au contrôle des pouvoirs publics et qu’elle reste responsable devant eux, c’est bien entendu. C’est une question d’organisation à examiner et à résoudre ; mais il est évident désormais qu’avec ce gouvernement civil tel qu’il est, toujours partagé et ballotté entre des influences contraires, on n’arrive qu’à de la faiblesse : on n’a que des fictions d’autorité et de responsabilité.

Cette question de nos établissemens d’Afrique, qui intéresse si sérieusement la grandeur de la France, n’est point de celles qui peuvent être tranchées en un jour ni à propos d’une interpellation de circonstance. Elle reste en réserve ; elle est une partie de l’héritage que la chambre près de unir va laisser à la chambre qui sera bientôt élue par le pays, et elle n’est pas la seule dont aura à s’occuper le parlement