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La conséquence de ces confusions perpétuées et aggravées, c’est que l’action se disperse ou s’égare. Le gouvernement disparaît, la responsabilité finit par n’être plus nulle part, et le jour où éclatent des événemens qu’on aurait pu prévoir et détourner, qui sont la suite d’un faux système, on s’évertue assez stérilement à chercher sur qui on fera peser des accusations, qui l’on devra mettre en cause. M. le ministre de la guerre, sans refuser de sévir contre des chefs de colonnes qui n’ont point été heureux, s’efforce néanmoins de dégager le commandement ; il ne veut pas qu’on parle d’un antagonisme du pouvoir militaire vis-à-vis du pouvoir civil. En d’autres termes, il laisse la plus grande part de responsabilité au gouverneur-général. Fort bien ! mais alors quelle est la position de ces officiers commandans de provinces, de cercles ou de colonnes actives, toujours réduits à attendre des ordres, à interroger le palais qui est à Alger et l’hôtel ministériel qui est à Paris ? Quel rôle fait-on à cette armée chargée de maintenu l’ordre, de sauvegarder la sécurité de nos possessions et privée de toute initiative, n’ayant plus même le pouvoir de suivre les mouvemens arabes, puisque le gouvernement civil a attiré à lui les affaires indigènes ? Elle n’est plus responsable que de l’exécution des ordres qu’elle reçoit, au risque d’en être la première victime si les ordres sont tardifs, ou confus, ou insuffisans. M. le président du conseil, de son côté, il est vrai, ne l’entend pas tout à fait ainsi. Il met tout son zèle à dégager le gouverneur-général, à tout rejeter sur les chefs de l’armée. Le gouverneur n’est pour rien dans les opérations militaires ! Ce sont des fautes militaires qui ont été commises ! La guerre, c’est le rôle de l’armée de la faire, ce n’est pas le rôle du gouverneur-général ! Soit ; mais alors qu’est-ce que ce gouvernement civil qui en temps de paix commande les forces de terre et de mer, qui a tout pouvoir dans les affaires arabes, qui par sa politique ou par ses actes peut préparer les événemens les plus graves, — et qui, au jour de la crise, s’éclipse, laissant aux autres la responsabilité ? M. le président du conseil ne s’est pas aperçu qu’en voulant à tout prix excuser le gouverneur civil actuel de l’Algérie, il a mis a nu le vice de l’institution elle-même. Les députés de l’Algérie, eux non plus, n’ont pas pris garde qu’avec tout ce qu’ils racontaient ils faisaient à leur manière le procès du gouvernement civil. C’est après tout la plus évidente moralité de ces derniers débats de la chambre, qui ont eu au moins cette utilité pratique et directe de montrer par quelle série d’erreurs, de déviations et de confusions a été préparée l’épreuve nouvelle infligée à l’Algérie.

Aujourd’hui le mal est fait, et sans se laisser aller au pessimisme par trop sombre de ceux qui désespèrent de l’Algérie, on peut dire que la crise est assez sérieuse pour que la première pensée des pouvoirs publics soit d’y remédier le plus tôt possible. M. le ministre de la guerre, selon l’invariable habitude après tous les revers ou les mésaventures, a