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vérité littéraire ou la représentation pittoresque au contrôle de l’expérience prochaine. Remarquez en passant que c’est le vice intérieur de la tragédie classique ou du drame romantique ; remarquez que c’est le vice intérieur du roman historique. Il n’importe pas que quelques grands hommes aient triomphé de la difficulté. Si le Pompée de Corneille sonne faux, presque aussi faux que le Ruy Blas de Victor Hugo ; si le Quentin Durward de Walter Scott ne nous satisfait pas plus que le Cinq-Mars d’Alfred de Vigny, nous venons d’en donner la raison suffisante. Ces intrigues et ces personnages ne ressemblent pas assez à tout le monde ; ils ne sont pas immédiatement à portée de notre contrôle ; nous ne savons pas, et nous n’avons pas le moyen de savoir quels sont les sentimens des laquais


Quand ils marchent vivans dans un rêve étoilé,


non plus que nous n’avons l’expérience de ce qu’était au XVe siècle un archer de la garde écossaise du roi ; et ainsi, bien loin que toutes ces œuvres soient destinées à durer par ce qu’elles contiennent de singularité, c’est, au contraire, faute d’être assez banales qu’elles pèchent, qu’elles vieillissent, et qu’elles périront.

Sur ces exemples, et tous ceux que ses propres souvenirs suggéreront au lecteur, nous pouvons essayer de généraliser.

Il n’y a pas de lieux-communs, il n’y a que des esprits paresseux. Si banal que soit un sujet, si souvent qu’on l’ait traité, de quelques chefs-d’œuvre qu’il ait fourni la substance, il sera toujours neuf pour l’artiste qui prendra la peine de le revivre et de le repenser. Les lieux communs eux-mêmes de la conversation, ils ne sont lieux-communs qu’autant qu’on les laisse échapper comme formules apprises, à la manière des leçons d’école. Et ce qui donne à rire, c’est si peu la pensée prise en elle-même qu’au contraire c’est souvent le contraste qui éclate entre la profondeur de cette pensée même et la sottise coutumière de celui qui l’émet, car il y a des bouches qui ne sont faites pour laisser échapper, quoi que ce soit d’un peu sensé. Le vrai moyen d’échapper à la vulgarité, c’est de penser par soi-même. On pourrait dire alors qu’en traversant le milieu d’une pensée sincère, les lieux-communs s’y dépouillent de ce qu’ils ont de banal et ne conservent de tout, ce que l’on confond sous le nom de banalité que l’universalité seule, pour en ressortir originaux et vrais d’une vérité toute nouvelle. C’est sur la prose des grands prédicateurs, et des grands avocats, les uns et les autres portés en quelque sorte au lieu-commun par profession, que je conseillerais au lecteur de faire l’expérience. Car c’est là qu’il verrait à nu, je dis chez les plus grands, — dans un discours de Démosthène, ou dans un plaidoyer de Cicéron, dans une