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En dehors du refroidissement, dont l’action s’étend sur de grandes périodes, des modifications passagères du climat peuvent aussi appauvrir la flore. Il suffit d’une année de sécheresse pour compromettre gravement, la végétation des terrains sablonneux, comme nous l’avons vu dans le voisinage du château de Thurelles, où la session s’est terminée au bruit des toasts et au choc des verres, chez notre président. Si l’abondance régnait dans son beau domaine, si la végétation de ses prairies, où croît un chardon rarissime de notre flore, le Cirsium bulbosum, se montrait luxuriante, parce que des ordres spéciaux avaient élevé le niveau des écluses en prévision de notre visite, aux environs immédiats tout était frappé d’une stérilité désespérante. Dans cette région, intermédiaire à la vallée de la Loire et à celle de la Seine, il n’était pas tombé de pluie depuis deux mois, et la végétation solognote, qui lance une pointe vers le nord dans ce coin du Gâtinais, malgré son habitude de supporter la sécheresse, n’y montrait pas sa plante principale, une résédacée d’aspect grisâtre, l’Astrocarpus Clusii : la lande était frappée d’avortement. Ailleurs, c’est l’homme qui modifie ces conditions que la nature avait faites. Déjà, en 1855[1], le dévoué secrétaire que la société a perdu depuis quelques années, W. de Schœnefeld, dans un rapport sur une excursion faite à Fontainebleau, notait l’appauvrissement d’une des bonnes localités de la forêt, la plaine de la Chaise-à-l’Abbé, ou champ Minette, qui présentait jadis en notable quantité des espèces rares telles que Carex nitida, Scorzonera austriaca, Trifolium montanum, Trinia vulgaris, etc. « Là aussi, disait-il, les plus grandissent et étoufferont bientôt ce qui reste de ces espèces. » La société n’en a retrouvé aucune.

Dans d’autres cas, il faut bien le dire, ce ne sont pas des modifications. naturelles qui restreignent la végétation ; ce sont les botanistes qui la dépeuplent, alléchés par la joie d’emporter avec eux le plus d’échantillons qu’ils peuvent des « bonnes plantes ; » et à Franchart, dans la forêt de Fontainebleau, la Roche-qui-Pleure semble maintenant pleurer la perte de l’Asplenium lanceolatum, qui croissait sous l’abri protecteur de ses pierres humides.

Inversement, la flore peut s’enrichir. Tantôt, c’est par suite de l’industrie humaine. Lorsqu’on éleva les fortifications de Paris, les nouveaux talus du bois de Boulogne se couvrirent d’une plante de l’île de Malte, le Centaurea melitensis. Lorsqu’on ouvrit près de Thurelles les tranchées du chemin de fer de Montargis, on vit sur le terrain remué apparaître en abondance une légumineuse du Midi, le Lathyrus angulatus ; et il en est encore de même toutes les fois

  1. Bulletin de la Société botanique de France, t. II, p. 597.