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corporations et on voudrait en établir une monstrueuse, une de 172,750 individus qui, embrassant, par une hiérarchie habilement combinée, tous les âges, tous les sexes, toutes les parties de la république, deviendraient infailliblement les régulateurs plénipotentiaires des mœurs, des goûts, des usages et parviendraient facilement par leur influencé à se rendre les arbitres de la liberté et des destinées de la nation. L’enseignement libre n’offre aucun de ces abus et contient une foule d’avantages. Aussitôt que la nation aura dit : « Je paierai à l’instituteur la somme de… pour chaque enfant qui suivra ses leçons, elle encourage les hommes instruits à se livrer aux intéressantes fonctions de l’enseignement ; elle donne une prime aux talens et elle assure à la jeunesse de bons instituteurs avec beaucoup moins de dépenses…

« Abandonnez tout à l’influence salutaire de la liberté, à l’émulation et à la concurrence ; craignez d’étouffer l’essor du génie par des règlemens ou d’en ralentir les progrès en le mettant en tutelle sous la férule d’une corporation de pédagogues, à qui vous auriez donné pour ainsi dire le privilège exclusif de la pensée, la régie des progrès de l’esprit humain, l’entreprise du perfectionnement de la raison nationale,.. qui exercerait une influence dangereuse sur la confection des lois, leur exécution, leur interprétation, sur les élections, qui dicterait la pensée publique et administrerait l’opinion. »

Ainsi par la Thibaudeau. Fourcroy, qui prit ensuite la parole, développa la même thèse en termes presque aussi vifs. Spectacle piquant que celui du futur organisateur de l’Université impériale s’élevant au nom de la liberté contre la doctrine de l’état enseignant. « Je crois, dit-il, qu’il y aurait danger à établir des écoles publiques salariées par la nation. Si l’on adoptait les plans d’instituts et de lycées qui ont été tant de fois reproduits sous différentes formes, on aurait toujours à craindre l’élévation d’une espèce de sacerdoce plus redoutable peut-être que celui que la raison du peuple vient de renverser. Solder tant de maîtres, créer tant de places inamovibles, c’est reformer des espèces de canonicats, c’est permettre enfin à des professeurs privilégiés de faire à leur gré des leçons froides que l’émulation ou le besoin de la gloire n’anime plus… Ici, comme dans toutes les autres parties des établissemens républicains, la liberté est le meilleur et le plus sûr modèle des grandes choses. Chacun doit avoir le droit de choisir pour professeurs ceux dont les lumières, l’art de démontrer, tout jusqu’au son de la voix, au geste, est le plus conforme à ses goûts. Laisser faire est ici le grand secret et la seule route des succès les plus certains… Plus de corporation, plus de privilèges dangereux pour la liberté. »

Il appartenait au rapporteur du comité d’instruction publique de répondre à ces critiques. Romme, en effet, l’essaya. Il s’appliqua,