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ports italiens ont beaucoup plus profité que les ports français de la libre communication entre la Mer-Rouge et la mer Méditerranée. La malle des Indes passe par Brindisi et ne va plus à Marseille. La grande barrière des Alpes est éventrée en plusieurs endroits. Le percement du Mont-Cenis a détourné une partie de notre trafic vers l’Italie ; le passage du Brenner a mis les ports de l’Adriatique en communication avec la vallée du Danube ; le Saint-Gothard ouvrira demain l’Allemagne du Sud. Italiens et Germains se donnent ainsi la main par-dessus les Alpes ; et, si on n’y prend garde, la France comme l’Espagne, cet autre grand isthme délaissé depuis plusieurs siècles, sera bientôt en dehors du grand courant commercial qui va du midi vers le nord. Marseille cessera d’être l’intermédiaire obligé entre l’Europe d’une part, l’Égypte, l’Asie, l’Inde, la Chine, le Japon, l’Australie de l’autre. Gênes, Livourne, Brindisi, Trieste se réveillent et lui font dès à présent une active concurrence ; et nous commençons à recueillir les fruits de nos anciennes utopies politiques et à ressentir les effets économiques de l’unification italienne et de l’hégémonie allemande.

Il est temps de réagir et d’ouvrir au commerce de la Méditerranée et de l’Orient, qui tend à nous délaisser, une route nouvelle dans des conditions supérieures à celles que l’Italie et l’Allemagne peuvent lui offrir à travers les Alpes. Cette route ne peut être que la vallée du Rhône.

De grands travaux sont en ce moment en cours d’exécution pour assurer à la batellerie un tirant d’eau constant et un fonctionnement régulier depuis Lyon jusqu’à Arles. Toutes les questions d’accès à la mer sont évidemment subordonnées au succès de ces travaux. Il faut avant tout affranchir de tout chômage et de tout retard la navigation fluviale, jusqu’à présent intermittente et languissante.

Lorsque ce premier résultat sera obtenu, la solution des embouchures ne se fera pas attendre, et cette solution ne saurait être unique et exclusive ; elle ne devra pas profiter seulement à un port déterminé au détriment des autres ; elle devra nécessairement être multiple. L’amélioration directe de la bouche naturelle permettra aux petits navires de sortir à pleines voiles, d’entrer librement en mer et de se diriger sans retard, sans sujétion d’écluses, sans manœuvres, jusqu’à Marseille et à Cette. Le canal Saint-Louis, ceux de Beaucaire à Aigues-Mortes et d’Arles à Bouc convenablement recreusés et améliorés, enfin le canal projeté du Rhône à l’étang de Berre et à Marseille, constitueront autant de bras artificiels du fleuve maritime que le commerce saura choisir tour à tour, suivant ses exigences, ses goûts, ses besoins ou même ses caprices. La