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même, dans un avenir très éloigné, le petit fiord de Vaine, situé au-dessous de l’embouchure de l’Arc, finira par être converti en lagune, sera isolé de l’étang par une flèche de sable et est destiné à être finalement comblé. Mais ce sera l’œuvre des siècles, et la marche de ces atterrissemens est tellement lente que l’on peut, au point de vue pratique, la regarder comme tout à fait négligeable.

Les relevés hydrographiques indiquent des profondeurs qui va-, rient de 6 à 8 mètres dans la majeure partie de l’étang, et la cuvette centrale n’a pas moins de 10 à 12 mètres de mouillage sur des fonds de sable fin dont la superficie peut être évaluée à sept fois environ la petite rade de Toulon. Ainsi séparé de la mer par la chaîne de l’Estaque, l’étang de Berre pourrait donc constituer facilement un magnifique bassin de refuge pour tout le matériel de notre marine marchande. Il suffirait pour cela d’ouvrir un passage à travers les bourdigues qui encombrent l’étang de Caronte. L’idée d’ailleurs n’est pas nouvelle. En 1809, Napoléon Ier, en même temps qu’il cherchait à rappeler la vie dans le port d’Aigues-Mortes, avait jeté les yeux sur la mer intérieure de Berre et décidé qu’elle serait une succursale de la rade de Toulon. On sait que des préoccupations plus graves empêchèrent de donner suite à tous ces projets.

La marine militaire, il faut le reconnaître et il est impossible de ne pas s’en étonner un peu, ne réclame plus aujourd’hui cette rade pour les besoins de sa flotte de guerre ; mais l’éventualité de l’ouverture du canal de Marseille au Rhône, qui doit effleurer et même traverser une partie de ce bassin, donne un intérêt nouveau à une question déjà plusieurs fois soulevée ; et depuis près de dix ans, un de nos officiers de marine qui connaît le mieux le littoral de la Méditerranée, M. le capitaine de frégate Sibour, s’est fait l’avocat chaleureux de cette thèse brillante.

Il est certain, en effet, que les transformations de notre matériel naval ont modifié d’une manière complète les conditions de défense de nos côtes et de tout l’outillage maritime abrité dans nos docks et dans nos bassins. Au temps des navires à voiles et en bois, l’ennemi ne pouvait approcher de nos grands ports de commerce que lentement et par des circonstances dont nous étions aussi bons juges que lui. Toute surprise était alors impossible. Mais l’application de la vapeur à la navigation a donné à l’attaque des avantages que les perfectionnemens de la défense n’ont pas encore contre-balancés.

Il est évident, d’autre part, que nos navires de guerre, quels que soient leur nombre et leur force, ne sauraient accompagner sur toutes les mers nos navires de commerce et leur assurer une protection suffisante. Aucun convoyeur militaire ne pourrait d’ailleurs empêcher d’une manière absolue un monitor ennemi d’assaillir pendant