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n’ont que 120 à 140 mètres ; et deux seulement d’entre eux, l’Océan et la Méditerranée, aujourd’hui abandonnés, ont mesuré 154 mètres de longueur, dimensions très certainement extrêmes et même exagérées.

L’ensemble de ces ouvrages, dont l’exécution fait le plus grand honneur à nos ingénieurs, réalise parfaitement le programmé technique qu’on leur avait tracé et permet théoriquement de livrer passage à la fois aux navires de mer qui voudraient entrer dans le Rhône et aux bateaux du Rhône qui voudraient traverser le canal pour gagner la mer.

Malheureusement aucune des espérances que l’on avait conçues ne s’est réalisée. Le nouveau canal a beau être ouvert à la navigation depuis sept ans, le commerce n’a pas encore adopté cette route. Les constructions de la ville de Saint-Louis sont restées à l’état d’images sur les plans à effet que l’on avait dressés au début de l’affaire. La culture n’a pas davantage transformé en jardins et en prairies les marais et les terres vagues qui étaient destinés à devenir une magnifique banlieue. Le port en rivière, l’avant-port en mer, le grand chenal qui les réunit, sont vides. Seul, le cimetière, construit à la hâte pendant l’exécution des travaux, s’est trouvé bientôt trop étroit pour garder les dépouilles des ouvriers décimés par les maladies pernicieuses qui se développent dans la zone des marécages et des terrains vaseux fraîchement remués. C’est le jardin d’acclimatation du pays, disent avec une amère résignation les mélancoliques employés de la douane et des ponts et chaussées que leur service condamne pendant plusieurs années à un exil bien méritoire sur cette plage inhospitalière. Pas un bateau, pas une tonne de marchandises ; sur les deux rives, le silence, la fièvre et le désert.


II

Un peu avant d’entreprendre le canal Saint-Louis, on avait essayé de résoudre la question des embouchures par l’amélioration directe de la passe au moyen de l’endiguement. Une savante étude de M. l’ingénieur Surell avait démontré la possibilité d’obtenir des profondeurs suffisantes pour la navigation en agissant directement sur la barre. Les embouchures du Rhône ne lui paraissaient pas aussi incorrigibles que l’avait pensé Vauban. Ne se faisait-on pas d’ailleurs une idée fausse du travail à exécuter ? Il ne s’agissait pas, en effet, de détruire la barre, car on ne pouvait renverser les lois de la nature, et il était absolument insensé de s’opposer à la formation aux embouchures du barrage sous-marin qui marque la