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conquérans de l’antiquité avaient attaché leurs noms ? Alexandre avait mis l’île de Pharos et le double port d’Alexandrie en communication avec l’ancienne branche Canopique et ouvert ainsi au commerce de l’Orient la route de la vallée supérieure du Nil ; dans des conditions analogues, Auguste avait fait exécuter le canal de navigation de Ravenne à l’Adriatique ; au nord de l’empire, les légions romaines de Drusus avaient établi à l’embouchure du Rhin un chenal artificiel tout à fait semblable ; et, dans cette même région du bas Rhône, Marius avait déjà fait creuser un canal latéral pour ravitailler son armée campée au-dessus d’Arles sur le plateau des Alpines. C’était presque une tradition de gloire et de génie. Napoléon ne pouvait hésiter, et le canal d’Arles à Bouc fut décrété en 1802. On reprenait en définitive le programme de Vauban. Arles, en possession d’une voie nouvelle, affranchie de la sujétion des embouchures, allait voir renaître les beaux jours du passé. L’entreprise immédiatement commencée ne put malheureusement être continuée avec beaucoup de suite. Le plus clair des ressources de la France était absorbé par des guerres ruineuses. Les travaux languirent pendant dix ans ; l’invasion les suspendit. De 1814 à 1822, les chantiers furent tout à fait abandonnés ; ils ne furent rouverts que sous les Bourbons ; et, après une série de contre-temps et de chômages, le canal fut définitivement achevé en 1835.

Il était malheureusement trop tard. La nouvelle voie d’eau avait un développement de 47 kilomètres, une largeur au plafond de 14m,40, 22 mètres à la ligne de flottaison, une profondeur de 2 mètres environ ; elle était en état de suffire à toutes les exigences de la batellerie fluviale de l’empire et des premiers jours de la restauration ; mais un élément nouveau venait d’apparaître ; et, dès le lendemain de son ouverture, le canal se trouvait en présence de la révolution que la vapeur venait d’accomplir dans le régime des transports en rivière. Le chemin de fer latéral au Rhône n’existait pas encore. C’était le règne de la batellerie. Une puissante compagnie de navigation à vapeur, qui ne possédait pas moins de 40 bateaux mesurant plus de 100 mètres de longueur, monopolisait tout le commerce du Rhône, s’était emparée de tous les transports aux dépens du halage impuissant à soutenir la lutte, et chargeait annuellement près de 300,000 tonnes ; le tonnage total à la descente et à la remonte dépassait même certaines années 600,000 tonnes. Les temps sont bien changés. Aujourd’hui, après vingt ans, malgré l’accroissement considérable de la production dans toutes les branches de l’agriculture et de l’industrie, ce trafic a diminué de plus de moitié ; il atteint à peine 250,000 tonnes, dont le tiers même correspond au flottage.