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l’ancienne ouverture du canal de Marius. C’était, en somme, une seconde édition de l’œuvre romaine.

Tel fut aussi l’avis du marin très expérimenté Barras de La-penne, capitaine des galères du roi, qui fut envoyé en 1682 à Arles par le marquis de Seignelay, ministre de la marine. « Les embouchures du Rhône, écrivait-il dans son Portulan de la mer Méditerranée, sont aujourd’hui dans le même état qu’elles étaient lorsque Marius entreprit de faire la fosse de son nom qu’on a laissé combler. Le commerce d’Arles a beaucoup diminué par le danger et la difficulté qu’il y a de passer à l’embouchure où les petits bâtimens sont souvent retardés deux ou trois mois, et où les vaisseaux de charge les plus petits ne peuvent plus passer. Les embouchures seront toujours impraticables ; toutes les dépenses qu’on y pourrait faire n’aboutiraient à rien ou deviendraient en peu de temps inutiles ; et, puisque les Romains, qui étaient les maîtres des arts et des sciences, n’ont pu en surmonter les dangers, et que, pour faciliter la navigation du Rhône, ils avaient été contraints de les abandonner et de faire ce fossé si célèbre et si renommé, il faut les imiter et ouvrir de nouveau ce canal, ou en faire un autre pour conduire les bâtimens à Fos ou dans le port de Bouc même, ce qui serait encore le meilleur. »

Malgré l’autorité de Vauban et de Barras de Lapenne, les ingénieurs étaient loin de considérer comme absolument impossible l’amélioration directe des embouchures et l’approfondissement de la passe. Les avis étaient partagés ; on ne faisait rien, et le fleuve continuait à être fermé par sa barre, au grand préjudice de la navigation.

Le Rhône ne suivait pas alors dans sa partie inférieure le cours que nous lui voyons aujourd’hui. A près de 30 kilomètres au-dessous d’Arles, on voit encore un poste de douaniers qui s’appelle Chamone. Ce nom, qui n’avait éveillé jusqu’à ces derniers temps aucun souvenir ancien, vient d’être lu récemment sur une pierre à moitié rongée par le salin et perdue dans les solitudes marécageuses de la Camargue. La pierre est très fruste ; elle porte sur ses deux faces une inscription qui mentionne, à la fois le territoire de Chamone, le nom du fleuve et le port maritime. Les caractères sont du IIIe ou du IVe siècle ; et, si on rapproche ces indications épigraphiques du texte d’Ammien Marcellin qui fixe le rivage de la mer à 18 milles d’Arles, et du rescrit des empereurs Honorius et Théodose dont nous avons déjà parlé, on peut considérer que cette partie du delta existait déjà à l’époque impériale, sinon à l’état de continent, du moins comme un îlot avancé dans la région des embouchures. Là devait vraisemblablement exister une station