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Le Huascar désemparé flottait au hasard ; les canonniers étaient tués ; les matelots qui essayaient de les remplacer tombaient sous le feu de l’artillerie ennemie, les obus ayant fait éclater la toiture de la tourelle. Sur ce pont ensanglanté, incessamment balayé par le feu de douze pièces déchargeant presque à bout portant des boulets de trois cents livres, il n’était plus possible de tenir. Cependant le lieutenant don Pedro Hareson prend le commandement de cette épave. Vainement l’amiral chilien fait cesser le feu, met ses chaloupes à la mer et lance ses hommes à l’abordage ; les derniers défenseurs du Huascar les reçoivent à coups de hache, de revolvers, et les rejettent à la mer. C’était leur suprême effort. Une seconde tentative d’abordage réussit. Les Chiliens sont maîtres du Huascar, mais les survivans ont ouvert les soupapes, le navire menace de couler : les Chiliens n’ont que le temps de les refermer et de maintenir le navire à flot.

Ce combat d’Agamos assurait, la suprématie maritime du Chili. Glorieux pour lui, il ne l’était pas moins pour le Pérou. De l’équipage du Huascar, 61 hommes étaient morts, les cinq officiers les plus élevés en grade avaient succombé, sept autres agonisaient. Pendant le combat, engagé en vue de Mejillones, le télégraphe de ce port informait les autorités chiliennes des péripéties de la lutte. Le résultat fut accueilli dans tout le Chili par une explosion de joie. Les vainqueurs toutefois rendirent aux vaincus l’hommage dû à leur vaillance et, dans son rapport officiel, l’amiral chilien par la en termes émus de l’intrépidité et du courage de l’amiral Grau, qu’il appela lui-même un grand homme de mer.

Il était en effet. Avec lui disparaissait le plus habile et le plus hardi des officiers du Pérou. Ses compatriotes ne s’y trompèrent pas. Le sénat péruvien vota, aux acclamations publiques, la résolution suivante : « A l’appel, abord de la flotte nationale, le nom de Michel Grau sera prononcé ; l’officier le plus élevé en grade répondra : Présent au séjour des héros. »

Maître incontesté de la mer, le gouvernement chilien pouvait désormais imprimer une impulsion énergique aux opérations de terre et tenter l’invasion du Pérou. Ce qu’avait commencé l’intrépidité de ses marins, c’était à ses généraux de l’achever. Nous les suivrons sur ce terrain nouveau, où vont désormais se dérouler les dernières péripéties de la guerre du Pacifique.


C. DE VARIGNY.