Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/383

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faisaient route vers le sud. A Mejillones, il sut, par des communications télégraphiques de Santiago, que les deux navires qu’il poursuivait, après avoir longé la côte en détruisant toutes les chaloupes qu’ils rencontraient, avaient rallié le port d’Arica. Sur les ordres du commandant Riberos, le Cochrane, le O’Higgins et un transport passèrent la nuit en vue de Mejillones, pendant que le reste de l’escadre croisait un peu plus au sud, au large d’Antofagasta. Si, comme tout l’indiquait, l’amiral Grau se portait vers le sud, il devait rencontrer l’une des deux divisions chiliennes.

Le 8 octobre, avant le jour, un officier de quart, à bord du Blanco, signala près du cap d’Agamos la fumée de deux navires à vapeur. C’étaient le Huascar et l’Union, qui serraient de près le rivage et avaient, grâce à l’obscurité, passé sans être aperçus par la division postée plus au nord. Immédiatement le commandant Riberos se mit à la poursuite du Huascar, qui, se voyant découvert, vira de bord et fit route au nord. Le Huascar, de marche supérieure, gagnait rapidement sur son adversaire et se croyait hors de danger quand il aperçut devant lui trois navires qui manœuvraient de manière à lui barrer le passage. C’était l’escadre du nord qui, sous les ordres du commandant La Torre, lui offrait le combat. Pour la seconde fois, ainsi qu’au combat d’Iquique, La Torre et Grau se retrouvaient en présence, mais à armes égales, fer contre fer, cuirasse contre cuirasse.

La situation de l’amiral Grau était des plus critiques. Derrière lui, Riberos avançait à toute vapeur ; devant lui, La Torre lui barrait la route ; il fallait forcer le passage sans attendre le Blanco Encalada. Mais le commandant du Huascar n’était pas homme à désespérer de la fortune ; il avait foi en lui-même ; son équipage, aguerri, composé de marins intrépides, lui inspirait toute confiance, et puis l’audace seule pouvait lui venir en aide. Inquiet toutefois pour le sort de l’Union, que sa coque en bois mettait hors d’état de tenir contre là formidable artillerie des cuirassés chiliens, il lui télégraphia de gagner le large et de refuser le combat. Grâce à sa marche rapide, l’Union put se dégager et prendre la fuite, suivie par la corvette O’Higgins, que le commandant La Torre détacha à sa poursuite.

Resté seul, le Huascar, serrant la côte de près, se dirigea vers le nord en forçant de vapeur et en diminuant la distance qui le séparait du Cochrane. A 3 kilomètres de distance, il ouvrit le feu, que son adversaire essuya silencieusement ; puis, arrivé à courte, distance, il laissa porter et, par une manœuvre hardie, lança son navire à toute vitesse sur le cuirassé chilien pour le couler bas avec son éperon. Grâce à sa double hélice, le Cochrane évita le choc et, les deux navires glissèrent l’un près de l’autre à quelques mètres