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n’infligeait à ses adversaires qu’une perte facile à réparer, mais il soulevait au Chili un enthousiasme indescriptible ; il donnait la mesure de ce que le pays pouvait espérer de sa flotte et de l’énergie de ses marins. De part et d’autre, on avait fait preuve de courage, et l’on ne saurait reprocher aux officiers péruviens qu’un excès d’ardeur à tirer parti des avantages d’une tactique habile. En déjouant la surveillance de l’amiral chilien, en se portant en forces supérieures sur Iquique, l’escadre péruvienne mettait à profit la faute commise. Trahie par la fortune et par son impatience, elle sortait de cette rencontre considérablement amoindrie, mais redoutable encore. Le capitaine Grau commandait le Huascar ; marin habile, officier intrépide, il devait plus tard illustrer son nom et provoquer l’admiration de ses ennemis. Réduit à ses seules forces, il ne pouvait, après la perte de l’Independencia, reprendre Antofagasta. L’amiral Rebolledo venait d’apprendre au Callao le départ des navires péruviens pour le sud. Il arrivait à toute vapeur. Le commandant du Huascar reprit la route du Callao, serré de près par l’escadre chilienne, à laquelle il ne put échapper que grâce à sa supériorité de marche et à son sang-froid. Le 7 juin, il ralliait le Callao, où la population l’accueillit avec transport. Salué du nom de premier et illustre défenseur du Pérou, le commandant Grau ne songea plus qu’à prendre sa revanche du malheureux combat d’Iquique.

Pendant que ces événemens s’accomplissaient sur mer, le Pérou et la Bolivie hâtaient la concentration de leurs forces militaires. Les trois premières divisions de l’armée bolivienne, soit environ six mille hommes, avaient fait leur entrée à Tacna, dans la province péruvienne d’Arequipa, sous le commandement du général Daza, président de la Bolivie ; mais Tacna était encore à 175 lieues de la frontière chilienne, dont La séparait le désert d’Atacama. Pour franchir cette distance, il fallait longer la côte, soutenu par une escadre de ravitaillement, ou embarquer l’armée dans le port d’Arica sur des transports. L’une ou l’autre de ces deux opérations supposaient la libre possession de la mer, tout au moins pour un temps. On comptait sur la campagne du Huascar et de l’Independencia pour obtenir ce résultat.

Les forces péruviennes, sous le commandement du général Prado, président du Pérou, occupaient Arica, où devait s’effectuer la jonction des deux armées. Le congrès péruvien, donnant pleins pouvoirs au président pour augmenter les forces de terre et de mer, l’avait autorisé à élever de 125 millions de francs l’émission du papier-monnaie et à négocier des achats d’armes et de munitions en Europe. Le général J. Buendia commandait en chef l’armée de Tarapaca. Le 20 mai, les présidens Prado et Daza