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aller chercher à Panama un matériel de guerre attendu d’Europe. Ces bruits, habilement mis en circulation, n’avaient d’autre but que de donner le change à l’escadre chilienne, l’entraîner vers le nord et masquer un coup de main sur Iquique. Rassuré par cette inaction et les avis qui lui parvenaient, l’amiral Rebolledo, prenant le large, se dirigeait sur le Callao.

Le 16 mai, le monitor Huascar et la frégate cuirassée Independencia quittaient furtivement ce port et, dans la matinée du 21, ils arrivaient en rade d’iquique. L’Independencia, revêtue d’un blindage de quatre pouces et demi, portait 22 canons Armstrong et dont 2 à pivot et un éperon de 12 pieds de long. Le Huascar, monitor à tourelles, était armé de 5 canons Armstrong et construit de façon à pouvoir abaisser son bordage supérieur et ne présenter à l’ennemi qu’un plat-bord de dix pouces au-dessus de la ligne de flottaison. Contre ces deux redoutables adversaires, la Covadonga et l’Esmeralda étaient hors d’état de lutter, mais leurs commandans, jeunes, actifs, résolus, décidèrent de combattre jusqu’au bout et de couler plutôt que de se rendre.

Sommée de se rendre par le Huascar, l’Esmeralda répondit par une bordée à bout portant. Deux fois le Huascar se lança sur elle pour la percer de son formidable éperon, deux fois la corvette chilienne réussit à se dérober, maintenant toujours son feu. A la troisième attaque, le Huascar la troua. Au moment où elle coulait bas, son commandant, Prat, parvint à gagner le pont du Huascar avec quelques hommes et à engager une lutte inégale dans laquelle il succomba avec ses compagnons. L’Esmeralda disparut sous les flots après avoir d’une dernière bordée balayé le pont du cuirassé. Sur cent quatre-vingts hommes dont se composait l’équipage du bâtiment chilien, on n’en recueillit que soixante.

Pendant ce temps, la frégate cuirassée péruvienne l’Independencia poursuivait la Covadonga. Son commandant ripostait avec une froide énergie au feu de son adversaire. Ses deux uniques canons, admirablement pointés, balayaient le pont ennemi, mais ne pouvaient mordre sur la cuirasse de fer. Profitant de son faible tirant d’eau et de sa parfaite connaissance de la côte, le commandant Condell engage audacieusement son navire dans les récifs, entraînant l’Independencia acharnée à sa poursuite, qui s’échoue sur un bas-fond. Bien que la Covadonga fasse eau de toutes parts, criblée comme elle l’était par la puissante artillerie du cuirassé, elle revient sur lui, l’écrase de son feu et ne le quitte qu’après avoir vu achever l’œuvre de destruction. Alors seulement elle parvient, non sans peine, à rallier Antofagasta.

Ce combat d’Iquique était désastreux pour le Pérou. Non-seulement il lui coûtait un de ses plus formidables bâtimens et