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redouter la coalition de la Bolivie et du Pérou, il avait encore tout à craindre de la république Argentine, avec laquelle ses rapports diplomatiques devenaient chaque jour plus difficiles, par suite d’une mésintelligence profonde et qui pouvait, profitant de ses embarras actuels, prendre le Chili à revers, créer une diversion importante ou tout au moins mettre sa neutralité à un prix onéreux.

Ainsi que nous l’avons rappelé, la Cordillière des Andes sépare le Chili de la république Argentine, dont la capitale est Buenos-Ayres. Ces cols, difficiles à franchir, faciles à défendre de part et d’autre, préviennent tout conflit, mais, dans le sud, les Andes s’abaissent en s’élargissant et forment les hauts plateaux de la Patagonie, sur lesquels les deux républiques réclament un droit de souveraineté. La possession de la Patagonie assure le contrôle du détroit de Magellan, route directe des bâtimens à vapeur à destination du Pacifique. Maîtresse de ce territoire, la république Argentine tiendrait entre ses mains une partie du commerce du Chili qui emprunte surtout la voie du détroit. Resterait, il est vrai, le libre passage par le cap Horn, mais il est des plus longs, des plus pénibles et des plus dangereux. Les navires qui se rendent de l’Atlantique dans le Pacifique y rencontrent des courans contraires, des vents debout qui les retiennent plusieurs semaines au milieu des brouillards et des tempêtes, exposés aux chocs des banquises et aux coups de mer. Le Chili entretient avec l’Europe un commerce d’échange des plus importans ; il ne possède aucun port sur l’Atlantique ; l’établissement d’une voie ferrée projetée entre la république Argentine et lui à travers l’un des défilés de Andes faciliterait grandement son transit, mais ce transit resterait soumis au bon vouloir de sa voisine, et si cette dernière était en outre maîtresse du détroit, le commerce du Chili serait son tributaire. Le percement de l’isthme de Panama obvierait à ces dangers, mais la voie du canal, plus courte et plus sûre, sera aussi la plus dispendieuse, et pour les produits encombrans et de peu de valeur, le détroit de Magellan restera longtemps encore utilisé.

En 1877, le gouvernement chilien avait ouvert des négociations avec la république Argentine afin de régler à l’amiable leurs prétentions respectives sur la Patagonie. Ces négociations furent tenus secrètes à la demande du cabinet de Santiago. Déjà, en 1873, le gouvernement péruvien avait réussi à faire échouer des pourparlers entamés par le Chili. A la fin de 1877, les plénipotentiaires tombèrent d’accord et convinrent que le traité, résultat de leurs délibérations, serait soumis simultanément aux assemblées législatives de leurs pays respectifs. Au Chili, le traité fut rejeté, après discussion, comme n’offrant pas des garanties suffisantes. Avis officiel en fut donné au cabinet de