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En outre, ce décret constituait une violation formelle de l’article 4 du traité de 1874, par lequel le gouvernement bolivien s’était engagé à ne pas établir d’impôt nouveau sur les exploitations chiliennes durant une période de vingt-cinq années.

Le Chili protesta contre cette violation d’un pacte international. Son ministre à La Paz demanda au gouvernement bolivien de surseoir à l’exécution du décret. Des négociations s’ouvrirent ; elles se prolongèrent pendant toute l’année 1878. La Bolivie traînait en longueur. Il lui fallait le temps d’achever ses préparatifs militaires, de permettre au Pérou d’organiser son contingent et d’arrêter par un déploiement imposant des forces coalisées l’entrée en campagne de l’armée chilienne. Le cabinet de Santiago, irrité des délais qu’on lui opposait, insistait pour une réponse définitive et déclarait que le rappel du décret pouvait seul lui donner satisfaction. Serré de près, le gouvernement bolivien maintint en principe la thèse singulière que l’assemblée nationale avait le droit de rendre des décrets en contradiction avec les lois antérieures et les pactes internationaux ; puis enfin, le 18 décembre 1878, il informa le ministre du Chili que le décret était maintenu et que des ordres avaient été donnés aux autorités du littoral pour la perception de l’impôt prescrit par le décret du 14 février. Le gouvernement bolivien exigeait, en outre, le paiement d’une somme de 450,000 francs, montant dû, suivant lui, pour les impôts arriérés ; il alléguait qu’à la suite de la concession faite par lui à la compagnie de la construction d’un chemin de fer destiné à relier les mines à la mer, il s’estimait en droit de prélever une compensation proportionnelle à la garantie financière consentie par lui dans l’intérêt de l’exploitation.

Au Chili, l’émotion fut grande. On se sentait menacé, mais on se savait prêt. Le gouvernement rappela son ministre de La Paz, décréta la mobilisation de l’armée, une levée de vingt mille hommes et l’armement de l’escadre. Le cabinet bolivien ne s’attendait pas à des mesures aussi énergiques ; invoquant à son tour le texte du traité de 1874, il rappela au Chili que l’un des articles de ce traité stipulait, en cas de contestation, le recours à l’arbitrage d’une puissance neutre. Il offrit de soumettre le différend à l’appréciation du Pérou. Le détour était adroit. Si le Chili acceptait, la Bolivie obtenait gain de cause. S’il refusait, il assumait l’apparence des torts et fournissait au Pérou un prétexte d’intervenir. En même temps que cette proposition d’arbitrage, arrivait à Santiago un plénipotentiaire péruvien chargé d’offrir au Chili ses bons offices. Des indiscrétions calculées faisaient entendre qu’au cas où le Chili déclinerait ses offres, le Pérou se verrait, à son grand regret, contraint d’entrer en ligne et de prendre fait et cause pour la Bolivie.