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capitaux engloutis dans des entreprises véreuses n’étaient pas pour ramener la faveur publique et pour provoquer ha sympathie. On se désintéressait de ces républiques du Pacifique et l’on ne prêtait plus qu’une oreille distraite aux récits des faits qui les concernaient. Il n’en est plus ainsi : les grands événemens qui viennent de s’accomplir s’imposent à l’attention. Une puissance nouvelle se révèle et s’affirme. En dix-huit mois, elle a eu raison des armes coalisées du Pérou et de la Bolivie. Victorieuse sur mer, elle a porté la guerre au cœur même des territoires ennemis et poussé ses bataillons triomphans jusque sous les murs de Lima, contrainte à capituler, en dépit d’une résistance héroïque. Le Chili dicte la paix, la fortune sourit à ses efforts, et ce nouveau Piémont, enfermé entre les Andes, la mer et le désert, entrevoit, lui aussi, la possibilité de dompter par la force ou de séduire par l’exemple de sa prospérité ses voisins moins habiles, moins heureux et surtout moins sages.

De tels changemens ne s’accomplissent pas sans luttes et de pareilles luttes exigent des efforts persistans. La ténacité du Chili a surmonté tous les obstacles. Il a fait preuve d’une force de résistance que l’on ne soupçonnait pas, de beaucoup de prévoyance unie à une singulière hardiesse. Il a réussi et il méritait de réussir ; l’étude de cette guerre nous le prouvera en mettant en relief les qualités auxquelles il a dû ses succès, l’héroïque défense de ses ennemis, les causes de leurs revers. A la lueur des événemens qui viennent de s’accomplir, peut-être nous sera-t-il donné de lire ceux que l’avenir tient en réserve ; ils peuvent, dans un temps rapproché, modifier singulièrement la carte de l’Amérique du Sud, ouvrir aux produits et à l’émigration européenne un champ nouveau, réunir en un faisceau commun des forces qui se neutralisaient et créer sur les rives du Pacifique du Sud un état riche et prospère.


I

Adossé à l’immense muraille des Andes, dont les contre-forts aigus et les cimes neigeuses le séparent de la république Argentine et qui dresse ses parois rougeâtres sur une longueur de 1,800 lieues du nord au sud, borné dans l’ouest par l’Océan-Pacifique, le Chili offre l’aspect d’une bande étroite de littoral, étranglée. entre deux barrières infranchissables et se déroulant sur une longueur de 500 lieues. C’est une large vallée qui court du nord au sud, coupée de vallées latérales plus étroites, dont le sol s’élève en forme de terrasses et de plateaux jusqu’au pied du mur gigantesque des Andes. Au sud, la cordillière s’infléchit vers la mer, la vallée se