Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/354

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

discussion étendue de quelques-uns des paradoxes modernes auxquels les noms de leurs auteurs ont donné une certaine importance. L’inconvénient de ces divisions est de rétrécir, en les rattachant à une faculté déterminée, des devoirs qui embrassent l’homme tout entier. Ainsi le respect de la dignité humaine n’est plus qu’une des formes du respect de la volonté. La morale sociale n’a pas dans l’ouvrage une place en rapport avec celle qui est attribuée à la morale individuelle. L’auteur a peut-être pensé qu’elle appelait moins des considérations nouvelles. Elle est loin cependant de former une science entièrement achevée, surtout en ce qui concerne la théorie des droits, qu’il eût fallu défendre contre d’autres objections que celles du vieux sensualisme et d’une théologie excessive. M. Ferraz donne sur tous les droits et sur les devoirs qui leur correspondent des préceptes excellens, bien déduits et bien développés, mais où manquent un peu et l’originalité de la pensée et l’originalité de la forme. A la suite de la morale sociale, il n’a réservé aucune place pour la morale religieuse. Ce n’est pas qu’il l’ait omise à dessein ou qu’il l’ait méconnue. L’idée religieuse, conçue dans un esprit philosophique, remplit son livre et, dès le début, il a défendu, par des argumens excellens, la réalité des devoirs envers Dieu ; mais il a cru sans doute, avec quelque raison, que ces devoirs ressortent naturellement d’une conception éclairée des rapports de l’homme avec la Divinité et qu’il n’y a pas lieu de les réduire en préceptes et de les enfermer dans des formules.

De telles œuvres prouvent que la morale spiritualiste n’a pas seulement pour elle la possession légale et qu’elle n’a pas cessé de justifier, par la vitalité et la fécondité de son enseignement, la confiance que lui conserve la société moderne. Il ne faudrait pas toutefois qu’elle s’endormît dans une fausse sécurité. Elle a contre elle deux préjugés très puissans à notre époque : le préjugé scientifique, auquel toute métaphysique est suspecte, et le préjugé laïque, très porté à confondre la théologie naturelle avec la théologie surnaturelle. Nous avons combattu ces deux préjugés en montrant, par un illustre exemple, l’impossibilité de fonder une morale laïque véritablement efficace, en dehors de toute idée métaphysique ou religieuse, sur la seule base des théories évolutionnistes ou utilitaires. Il faudra livrer encore bien des combats avant d’en finir, si on y réussit jamais, avec des causes d’erreurs auxquelles le mouvement des idées et les transformations que subissent les sociétés elles-mêmes ont prêté une si grande force. La morale spiritualiste ne doit jamais perdre de vue cette « lutte pour la vie. » Or, dans les conflits de doctrines, le plus sûr moyen de vaincre est un commerce constant avec nos adversaires, non-seulement pour mieux saisir leurs points faibles et pour nous éclairer sur nos propres