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écarter les influences religieuses qui ont présidé pendant des siècles à l’évolution intellectuelle et morale de la société dont on fait partie. La conscience et la raison ne sont chez aucun homme, à aucune époque, cette cire vierge de toute empreinte que les philosophes se sont plu à imaginer. Elles ne sont pas non plus uniquement ce marbre aux veines naturelles que Leibniz opposait à la table rase de Locke. A quelque moment qu’on les interroge, elles sont déjà meublées d’une foule d’idées où l’éducation première, les rapports de tous les instans avec les autres hommes, les influences héréditaires peut-être ont la plus grande part. L’esprit le plus libre ne peut les soumettre à son examen et les faire vraiment siennes que sur un très petit nombre de points, et sur ces points mêmes, par beaucoup de ses jugemens, il sera peuple, il pensera avec la masse des hommes de son pays et de son temps. Il restera ainsi, quoi qu’il fasse, attaché par plus d’un lien à la religion dans laquelle il a été élevé, dans laquelle ont été élevés tous ceux qui l’ont formé et tous ceux qui l’entourent. Ce qu’on appelle morale naturelle, depuis l’avènement du christianisme, est nourri d’idées chrétiennes, et j’ajouterai même, porte l’empreinte de l’esprit catholique partout où le catholicisme a longtemps dominé. Ceux qui mettent le plus d’ardeur à réagir contre cet esprit sont souvent ceux qui réussissent le moins à s’en dégager. L’illustre savant anglais Huxley a un mot profond sur la philosophie positive d’Auguste Comte : « C’est, dit-il, un catholicisme avec le christianisme en moins : Catholicism minus chrîstianity. »

Voilà ce qu’il ne faut jamais oublier quand on parle de société laïque et de morale laïque. L’idée de la société laïque est née avec la distinction de l’ordre spirituel et de l’ordre temporel. Elle trouve son expression dans toute société où le pouvoir civil ne dépend d’aucune église dans l’exercice des droits qui lui sont propres, alors même qu’il reconnaît une religion d’état ; mais elle n’est bien comprise que là où tous les cultes jouissent d’une égale liberté et obtiennent une égale protection. Indépendance du pouvoir civil et liberté