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aux matelots d’armer leurs fusils et pâlit : « Feu ! » Il l’a fait fusiller. »

Maintenant si vous tenez à savoir d’où procèdent les plus charmans proverbes de Musset, lisez cette simple histoire qui nous a valu : Quitte pour la peur, type du genre :

« Je me rappelle en travaillant un trait fort beau que la princesse de Béthune me conta un soir.

« M. de X… savait fort bien que sa femme avait un amant. Mais les choses se passant avec décence, il se taisait. Un soir, il entre chez elle, ce qu’il ne faisait jamais depuis cinq ans.

« Elle s’étonne, il lui dit :

« — Restez au lit ; je passerai la nuit à lire dans ce fauteuil. Je sais que vous êtes grosse, et je viens pour vos gens.

« Elle se tut et pleura : c’était vrai. »

« Avec la Maréchale d’Ancre, j’ai essayé de faire une page d’histoire ; avec Chatterton, j’essaie de faire une page de philosophie. »

Rien que de vrai dans ce qui concerne son drame de la Maréchale d’Ancre. Tout le premier acte est de l’histoire vue à la Shakspeare, traitée de même ; les caractères solidement campés, bien en place et parlant un langage naturel ; vous êtes en pleine tragédie d’état et tellement intéressé par ce grand art que vous passez outre aux défauts, quand il s’en rencontre, et comblez spontanément les lacunes pour ne point avoir à critiquer ce qui vous charme. La scène du jeu est un tableau de maître. Quel dommage que la pièce ne continue pas de la sorte jusqu’au bout ! le drame historique nous eût donné là ce qui nous manque encore dans ce genre : un chef-d’œuvre. Malheureusement, dès le second acte, le problème historique s’efface derrière la coulisse et livre la scène aux allées et venues d’une intrigue romanesque pour ne reparaître qu’aux environs du dénoûment, mais en toute grandeur et magnificence. Le duel entre Concini et Borgia dans les ténèbres, le jugement et la marche au supplice de la maréchale resteront parmi les plus grands souvenirs du théâtre.

Le jour même du jugement de la maréchale d’Ancre, la jeune reine Anne d’Autriche envoya des confitures à son fils, le petit comte de la Pène, et le fit venir dans ses appartemens ; chemin faisant, des soldats lui volèrent son chapeau et son manteau ; le pauvre enfant arriva tout humilié, le cœur gros, et refusa de manger. La petite reine, — comme on la nommait, — avait ouï dire qu’il dansait bien ; il fallut qu’il dansât devant elle et, en dansant, il fondit en larmes ; ce fut un vrai martyre. Il mourut de la peste à Florence en 1631. Toute la pitié, toutes les larmes de cette anecdote empruntée aux mémoires du temps, se retrouvent dans la scène de la fin.