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Telle est la morale de M. Janet ; telle est aussi la morale que professe implicitement M. Spencer dans plusieurs passages de son livre. Il admet comme vraie en un sens « la doctrine d’après laquelle la perfection ou l’excellence de nature devrait être l’objet de notre poursuite ; » car, dit-il, « elle reconnaît tacitement la forme idéale d’existence que la vie la plus haute implique et à laquelle tend l’évolution. » Il admet également que « si le bonheur est la fin suprême, il doit accompagner la vie la plus élevée que chaque théorie de direction morale « distinctement ou vaguement en vue. » Il n’est même pas éloigné de voir dans le Dieu de la métaphysique, dans le Dieu des causes finales, le principe suprême de la morale : « La théorie théologique contient une part de vérité. Si à la volonté divine, que l’on suppose révélée d’une manière surnaturelle, nous substituons la fin révélée d’une manière naturelle vers laquelle tend la puissance qui se manifeste par l’évolution, alors, puisque l’évolution a tendu et tend encore vers la fin la plus élevée, il s’ensuit que se conformer aux principes par lesquels s’achève la vie la plus élevée, c’est favoriser l’accomplissement de cette fin. » Devant de telles formules, Marguerite aurait pu dire, comme après la profession de foi de Faust : « Tout cela est vraiment beau et bien ; le prêtre dit à peu près la même chose, seulement dans un langage un peu différent. »

Non-seulement M. Spencer aime à rapprocher sa morale de la morale métaphysique et religieuse, mais il en emprunte en partie la méthode. Il reconnaît une vérité dans cette proposition a que les intuitions d’une faculté morale doivent guider notre conduite. » Il répudie hautement les procédés empiriques des utilitaires. Il les compare aux calculs des premiers astronomes, fondés sur quelques observations accumulées, d’après lesquelles on pouvait de loin en loin prédire approximativement que certains corps célestes occuperaient certaines positions à telles époques. Tout autres sont les déductions nécessaires de l’astronomie moderne, fondées sur la loi de la gravitation. Toutes différentes aussi des inductions de Bentham et de Stuart Mill doivent être les déductions de la morale moderne : elles doivent avoir pour objet, non des résultats accidentels, mais « les conséquences nécessaires de la constitution des choses. » C’est la doctrine et c’est la méthode même de M. Janet, qui, lui aussi, veut que la morale se déduise de « la vraie nature de l’homme. »

Si M. Spencer était toujours resté fidèle à cette méthode et à cette doctrine, il aurait ajouté un monument de plus à tous ceux qu’a édifiés la vieille morale des idéalistes et des spiritualistes et il aurait entièrement trompé les espérances de ceux qui attendaient de lui