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considère comme une société étrangère. Nous avons surtout en vue les lois d’enseignement, dont la réforme, au nom du principe laïque, est si ardemment demandée et n’est pas encore entièrement obtenue. Pendant longtemps, en France, comme dans les autres pays où les institutions ont pris un caractère laïque plus ou moins pur, le pouvoir est resté aux mains de partis conservateurs ou modérés qui s’appuyaient sur les influences religieuses ou se croyaient obligés à beaucoup de ménagemens envers ces influences. Ils leur abandonnaient l’éducation morale dans les écoles primaires et, s’ils admettaient, dans l’enseignement secondaire et dans l’enseignement supérieur, une morale toute philosophique, ils étaient toujours prêts à proclamer l’accord complet de cette morale avec la morale théologique. Les partis d’opposition avaient eux-mêmes des ménagemens semblables. C’est le parti libéral, le parti le plus contraire aux envahissemens du clergé, qui fondait, sous la restauration, « la société de la moral chrétienne. » Sous la monarchie de juillet, l’opposition de gauche défendait l’université contre le clergé, non pas en revendiquant pour elle tous les droits de l’état laïque, mais en s’efforçant de montrer que rien dans son enseignement ne pouvait porter ombrage à l’église. En 1851, c’était, pour un éminent professeur de philosophie[1], une audace extrême, punie par l’exclusion, non-seulement de l’université, mais de l’enseignement libre, que d’avoir osé rompre ouvertement avec le christianisme, non dans son cours, mais dans un traité de morale, où rien ne s’écartait du plus pur spiritualisme.

Des concessions excessives, arrachées trop souvent, depuis le commencement du siècle, aux représentans de la société civile par l’intolérance religieuse, ont eu pour effet naturel une réaction d’autant plus violente qu’elle est restée jusqu’à ces dernières années étrangère à la responsabilité du pouvoir et plus libre par là même d’obéir à la seule logique. Les partis entraînés dans cette réaction sont aujourd’hui, en France et dans d’autres pays, les partis de gouvernement et si leurs fractions les plus modérées croient opportun de ne pas pousser la logique jusqu’au bout, elles ne peuvent se dispenser de compter avec des alliés plus impatiens, dont le concours leur est nécessaire et qui eux-mêmes croient pouvoir bientôt se dispenser de compter avec elles. Or, ce que réclament, — les uns avec quelques réserves et certains atermoiemens, les autres immédiatement et sans réserve, — les gouvernans d’aujourd’hui et les gouvernans de demain, c’est une morale entièrement scientifique, dégagée de toute hypothèse métaphysique comme de tout dogme surnaturel. La morale laïque doit être, en un mot,

  1. M. Amédée Jacques.