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qu’on ne le croit, — avoir inventé quelque chose ! Il n’importe ; l’artiste chez Auguste Barbier subsiste malgré tout, et cette date trop illustre des ïambes, dont l’homme n’aura jamais pu s’affranchir de son vivant, sera un jour près de la postérité la sauvegarde du poète :

Et par où l’un périt, un autre est conservé,


a dit le vieux Corneille dans une langue que Barbier connaît à fond et sait parler.

Quel joli butin d’observations diverses ne trouve-t-on pas aussi à choisir au cours de ce journal d’Alfred de Vigny : celle-ci, pour n’en citer qu’une très finement caractéristique de certains mouvemens d’esprit dans la vie mondaine.

« Il y a quelques joues, une femme d’esprit me donne l’occasion de remarquer avec quelle promptitude les mouvemens de l’intérêt personnel viennent détruire la raison droite et simple.

« Je lui parlais de Mme Roland.

« — J’aime, disais-je, ce caractère romain dans nos temps ; sa mort est un peu drapée et théâtrale ; elle pose, il est vrai, avec un peu d’affectation.

« Elle m’interrompt :

« — Eh ! ma foi, il est assez beau d’avoir la force de poser dans ces momens-la.

« Elle était dans le vrai ; mais tout à coup, elle se souvient qu’elle est duchesse, et le préjugé lui fait ajouter ceci : « D’ailleurs, qu’importe ? une petite bourgeoise comme Mme Roland pouvait bien mettre de l’emphase dans sa mort. C’était aux grandes dames à être simples. »

Veut-on maintenant une poignée de pensées recueillies au hasard ?

« — Bonaparte, c’est l’homme ; Napoléon, c’est le rôle. Le premier a une redingote et un chapeau ; le second, une couronne de lauriers et une toge. — Chateaubriand vient de faire une brochure-plaidoirie pour la duchesse de Berry, dans laquelle il est un peu républicain. Le moindre écrivain républicain ne se croit nullement obligé d’être un peu monarchique, — marque certaine que le mouvement des esprits est démocratique, puisque le plus ardent monarchiste fait le démocrate.

« — J’ai remarqué que l’on a en soi le caractère d’un des âges de la vie. On le conserve toujours. Tel homme, comme Voltaire semble avoir toujours été vieux ; tel, comme Alcibiade, toujours enfant. — C’est aussi pour cela peut-être que tel écrivain enthousiasme les hommes de ce même âge auquel il semble arrêté. »