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forment d’épouvantables papillotes habitées par toute sortes d’insectes et qui tombent quelquefois jusqu’au menton. Ces papillotes se détachent d’affreux bonnets polonais, de casquettes invraisemblables, de hideux chapeaux européens, de toute sorte de couvre-chefs moins orientaux les uns que les autres, que les Juifs ont le tort de conserver à Jérusalem ; elles encadrent des figures pâles, aux traits de cire, aux yeux rougis et lépreux, au teint jaunâtre, qui font mal à voir. Est-ce donc là cette race qui avait conquis la Palestine et qui s’y était si fortement implantée ? Non sans doute. Les Juifs actuels de Jérusalem ont été débilités par l’Europe ; en revenant dans leur patrie, ils y produisent l’effet d’étrangers. Comparés aux Juifs d’Orient, aux Juifs de Damas, par exemple, on dirait une famille humaine toute différente. Peut-être cependant ne faudrait-il pas exagérer ces disparates, qui ne sont point aussi profondes qu’il semblerait au premier abord. Après tout, les Juifs n’étaient pas la race autochtone en Palestine ; ils s’y étaient fixés en conquérans, et, bien qu’il leur ait plu de regarder la terre promise comme leur propriété éternelle, ils y ont subi des influences de climat qui prouvent qu’ils n’en étaient pas les véritables maîtres. De même qu’en Égypte les fellahs seuls ont résisté aux influences naturelles ; de même en Palestine les Cananéens seuls ont eu les qualités nécessaires pour les supporter sans s’affaiblir. Les Juifs étaient des parasites qui ont souffert d’un milieu physique pour lequel ils n’étaient pas faits.. Les plantes, les légumes, les fruits étrangers s’affaiblissent en Palestine comme en Égypte ; il faut en renouveler souvent la semence pour leur conserver toute leur vigueur. Il en est probablement de même des races humaines. Elles ne s’y maintiennent qu’à la condition de se retremper dans un sang plus jeune. On n’a peut-être pas assez tenu compte, en écrivant l’histoire de l’Orient, de l’action des causes matérielles sur les grands événemens politiques. Si les empires s’y fondent si vite et y disparaissent si rapidement aussi, c’est que la nature y épuise bien vite les énergies humaines. Tout effort y est suivi d’une fatigue profonde et presque irrémédiable. Voilà pourquoi les seules races qui y subsistent constamment, sont celles qui, dépourvues de toute volonté et de tout courage, s’y laissent ballotter par les événemens et conduire par la fatalité avec l’indifférence ou la résignation des choses dont la durée tient à l’insensibilité !


GABRIEL CHARMES