Qu’il me serait doux de marcher nu-pieds sur les ruines de ton sanctuaire, à l’endroit où la terre s’ouvrit pour recevoir l’arche d’alliance et ses chérubins 1J arracherais de ma tête cette vaine parure et je maudirais le destin qui a jeté tes pieux adorateurs sur une terre profane. Comment pourrais-je m’abandonner aux jouissances de cette vie, quand je vois des chiens entraîner tes lionceaux ? Mes yeux fuient la lumière du jour, qui me fait voir des corbeaux enlevant dans les airs les cadavres de tes a : gles. Arrête-toi, coupe de souffrance ! Laisse-moi un seul moment de repos ; car déjà toutes mes veines sont remplies de tes amertumes. Un seul moment que je pense à Ohola (Samarie), et puis j’achèverai ton amer breuvage ; encore un court souvenir d’Oholiba (Jérusalem), et puis je te viderai jusqu’à la lie.
Sion, couronne de la beauté, rappelle-toi le tendre amour des tiens, que ton bonheur transportait de joie et que tes revers ont plongés dans le deuil ; du fond de leur exil, ils t’ouvrent leurs cœurs, et dans leurs prières ils s’inclinent vers tes portes. Tes troupeaux dispersés sur les montagnes n’ont pas oublié la chère patrie ; ils se sentent encore entraînés vers tes hauteurs, sous l’ombre de tes palmiers. Sinéar et Pathros, dans leur vaine grandeur, peuvent-elles se comparer à toi ? Que sont leurs oracles mensongers auprès de tes Ourim et Thummîm ? Où est le mortel qui pourrait se mesurer avec tes princes, tes prophètes, tes lévites, tes chantres célestes ? Tous ces empires rentreront dans le néant ; toi seule tu resteras à la un des siècles, car le Seigneur fixera sur toi sa résidence éternelle. Heureux le mortel qui demeurera sous l’abri de tes murs ! Heureux le mortel qui verra poindre ta nouvelle aurore ! Il verra le bonheur de tes élus, il assistera à tes fêtes, et tu seras belle comme au jour de ta jeunesse !
Comment s’expliquer l’aberration de tout un peuple s’obstinant depuis tant de siècles à choisir, au milieu d’une contrée généralement belle comme la Syrie, la partie la plus stérile, la plus désolée, la plus desséchée, pour en faire une sorte de paradis où l’air a le souffle de la vie, où la poussière répand le parfum de la myrrhe, où l’eau des fleuves n’est pas moins savoureuse que le miel ? Quand on a rempli sa mémoire des élans poétiques que Jérusalem a provoqués, quand on s’est habitué à prendre Sion pour le type de toutes les splendeurs et de toutes les merveilles et qu’on arrive subitement en Judée, au milieu d’une nature morte et d’une ville odieuse, il est impossible de ne pas éprouver la plus amère déception. Les Juifs pourtant conservent, en face de la réalité, toutes les illusions de leurs rêves. L’auteur de la belle élégie que je viens de citer, parvenu à Jérusalem, s’arrêta, s’il faut en croire une tradition dont l’authenticité d’ailleurs est assez douteuse, aux portes de la cité sainte, déchira ses vêtemens,