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légende raconte qu’après avoir pris l’Enfant divin dans ses bras et avoir chanté le Nunc dimiuis, le vieillard Siméon, qui avait son habitation à l’angle sud-est du parvis du temple, invita la sainte famille à venir passer quelques jours chez lui, et que ce fut à cette occasion que Jésus coucha dans le berceau de pierre exposé aujourd’hui à la vénération des fidèles. De la chambre du berceau de Jésus, on passe dans un immense souterrain, qui est peut-être d’origine salomonienne, mais qui a été rebâti par Hérode et restauré par les croisés ; les templiers y logeaient leurs chevaux ; ils en avaient fait leur écurie. L’aspect singulièrement imposant de ce souterrain produit une vive impression. « Stabulum mirœ et tantœ capacitatis, dit Jean de Wurzburg, ut plusquam duo millia equorum aut mille et quingenta camelorum excipere possit. » Il est en partie comblé aujourd’hui, et des éboulemens de terre et de pierre en obstruent la plus grande partie ; on est pourtant frappé de sa profondeur et de son étendue ; quatre-vingt-huit colonnes carrées soutenant des voûtes en plein-cintre y forment des galeries d’une grande élévation ; une obscurité humide et triste enveloppe d’une mélancolie profonde cette étrange construction. Un autre souterrain, situé plus près de la mosquée d’El-Aksa, est évidemment un ouvrage d’Hérode le Grand. Il se dirige du nord au sud et se compose de deux nefs que recouvrent des voûtes en berceaux surbaissés soutenues par des piliers massifs. Les murs sont construits avec des pierres d’une prodigieuse dimension. Presque au milieu de ce long couloir, on rencontre une colonne monolithe d’une grandeur étonnante, dont le chapiteau qui ne forme qu’un tout avec la colonne est orné d’acanthes ressemblant à des palmes. Le cheik qui conduit les voyageurs dans ces souterrains répète à chaque pas : « Monolithe ! monolithe ! » C’est le seul mot de français qu’il sache ; c’est presque le seul qui lui soit nécessaire. On est surpris que les pierres gigantesques que l’on rencontre dans les constructions du mont Moriah puissent être en effet des monolithes. Pour avoir soulevé de pareilles masses, il fallait que les peuples qui ont tour à tour élevé des édifices sur cet emplacement sacré fussent des architectes d’une imagination puissante et d’une hardiesse de volonté que rien n’effrayait.

Après avoir parcouru les mosquées, les souterrains, les ruines du Haram-esch-Chérif, si l’on peut se débarrasser du cheik qui vous dirige, le mieux est d’errer à l’aventure sur l’esplanade et le long des murs qui la soutiennent. Au nord, du côté de la vallée de Josaphat, on remarque une sorte de colonne placée horizontalement sur la muraille et s’avançant dans le vide au-dessus de la vallée. C’est la culée du fameux pont invisible qui communique